États et religions dans la politique intérieure des États-Unis
État et religions aux États-Unis d'Amérique
Le cas des États-Unis d’Amérique (EUA) est très original, surtout vue de France. Il s’agit d’un État qui a connu la sécularisation et se veut laïc mais qui peut se résumer selon la formule du Président Eisenhower « peu importe à quelle église vous appartenez, du moment que vous appartenez à une église ». Ce qui signifie que le pays est empreint de religiosité même s’il n’y a pas de religion reconnue et supérieure aux autres.
On est toujours étonné de voir le Président américain jurer sur la Bible lors de son investiture alors que l’État est séculier et laïc. On peut aussi s’étonner de la formule sur les billets « In God we trust ».
Les EUA sont un pays peuplé de plus de 320 millions d’habitants avec une grande diversité religieuse et une république qui se veut laïque, avec une séparation de l’État vis-à-vis des Église. Du point de vue des relations entre les États et les religions, les EUA apparaissent comme un paradoxe.
I. Diversité religieuse et principe de tolérance
Les EUA sont marqués par une très grande diversité religieuse et le principe de tolérance est présent dès la fondation du pays. On rappelle que les Pères pèlerins étaient des protestants puritains qui fuyaient les persécutions religieuses de l’Angleterre. Le pays a été forgé sur ce principe de liberté religieuse dès le XVIIIe siècle.
Comme les protestants ont les premiers peuplé le pays, le protestantisme est extrêmement diversifié. On compte plus de 200 sectes protestantes différentes avec des branches du protestantisme comme les Baptistes qui forment une Église à part entière. De la même manière, la Franc-maçonnerie est née aux EUA, une sorte d’Église laïque et républicaine. La scientologie s’est elle aussi forgée aux EUA en une Église alors qu’on la considère, notamment Europe, comme une secte.
Il faut prendre en compte la grande diversité du protestantisme et le fait que les Pères fondateurs à la fin du XVIIIe siècle, à l’époque de Jefferson (1743-1826), Madison (1751-1836) et Washington (1732-1799) ont inscrit dans la déclaration d’indépendance le principe de liberté au sens large et de liberté de croyance et de religion. Aucun citoyen américain ne peut être inquiété pour sa foi.
La diversité des religions est aussi liée à l’immigration massive depuis le XIXe siècle. Les EUA restent le premier pays d’immigration au monde avec un million d’entrées par an environ. Cela fait des EUA un microcosme des religions du monde entier. On pense notamment à la présence du catholicisme qui se renforce aujourd’hui par les importantes minorités hispaniques et catholiques qui sont les premières minorités du pays, surtout qu’une formule dit aujourd’hui que « les minorités religieuses sont la majorité ». L’ancienne majorité WASP (White-Anglo-Saxon-Protestant) est devenue la minorité.
Parallèlement, on peut citer les importantes diasporas juives. New-York est la première ville juive du monde. On doit aussi compter la présence de l’islam et de ses différents courants. Les religions asiatiques (bouddhisme ; confusionnisme, etc.) sont aussi présentes, notamment dans l’ouest du pays, où l’immigration est de plus en plus importante. Ces religions coexistent donc dans un principe de tolérance et de respect. Il y a cependant une convergence dans une sorte de modèle de creuset idéologique qui est issu du protestantisme.
Max Weber (1864-1920) a été le premier a montrer les liens entre l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Si les EUA sont devenus le berceau mondial du capitalisme libéral et individualiste c’est la cause du protestantisme qui a imposé et transmis les valeurs de la réussite matérielle et individuelle. La richesse et la fortune sont des signes d’élection divine, d’avoir été choisi par Dieu et d’avoir bien respecté les enseignements de Dieu et de la religion. De l’éthique protestante découle ce qu’on appelle l’évangile de la richesse qui s’impose à tous les citoyens américains qui cherchent à réussir et accéder au bonheur inscrit dans la déclaration d’indépendance. Le bonheur est ici avant tout matériel.
Cela signifie que les WASP sont minoritaires mais continuent d’imprégner les mentalités américaines : liberté de religion, de croyance, tolérance et culte de la réussite.
II. Un État laïc ?
Si le processus de sécularisation de l’État est allé jusqu’au principe de laïcité, le débat est important. Denis Lacorne a proposé en 2007 un essai d’histoire politique nommé De la religion en Amérique. Il explique qu’il y a deux traditions aux EUA qui sont des tensions :
– La tradition des Pères fondateurs au moment de la Constitution et des premiers amendements qui sont les tenants d’une stricte séparation dans les différents pouvoirs entre le politique et le religieux. Ils ont veillé à cette séparation, nonobstant le fait que le Président jure sur la Bible lors de son investiture. C’est Franklin D. Roosevelt (1882-1945) qui résumait en 1941 le principe fondamental en « la foi en la liberté sous le contrôle de Dieu ».
– La seconde tradition veut marier le crédo des institutions avec les valeurs du protestantisme qui se sont développées au cours du XIXe siècle, notamment le capitalisme industriel moderne. Ce sont des idées protestantes qui imprègnent le peuple de religiosité.
C’est pourquoi, il y a toujours une tension entre la revendication d’une stricte séparation des pouvoirs et un mélange plus important dans les pratiques sociales. Cette tension est toujours visible aujourd’hui : depuis les années 1980, le Parti républicain s’est largement rapproché des églises évangélistes. C’est ce qui a permis à Reagan d’être élu en 1981, puisqu’il avait réuni derrière lui ce qu’on a appelé la « majorité morale », les grands pasteurs protestants évangélistes. On le retrouve aujourd’hui avec Donald Trump, des « entorses à la laïcité » du point de vue français. Il a fait des promesses très importantes aux évangélistes. Ils ont voté à 80 % pour Trump. Cela se traduit dans les affaires étrangères lorsqu’il a transféré l’ambassade des EUA en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem.
De la même manière, l’État fait voter des législations très favorables aux églises et aux business des Églises comme des télévangélistes ou les néo-pentecôtistes qui créent leurs églises et lèvent des impôts.
III. La religion au service de la puissance
On peut évoquer le fait que la religion ait été mise au service de la puissance américaine dès le XIXe siècle. C’est une particularité des relations entre État et religion. Au moment de la fondation des EUA à la fin du XVIIIe siècle, les Américains ont cru en leurs exceptionnalisme qui s’enracinait entre autres dans la religion. Au moment des Pères fondateurs, Thomas Payne (1737-1809), qui a réfléchi dans Common Sense (1876) au sens de l’indépendance des EUA et des colonies et il affirmait qu’ils allaient « fonder le monde à nouveau ». On s’enracinait dans une « page blanche ».
Dès lors, les Américains se considèrent comme un peuple élu qui remplit une mission civilisatrice dans le monde. C’est ce qu’exprime O’Sullivan avec la notion de Manifest Destiny, formulée dans les années 1840. Les EUA doivent montrer au monde la direction vers la civilisation, le développement et en particulier la démocratie et la liberté.
Partant, comme il y a une vision très biblique, les EUA se considèrent comme incarnant le Bien dans le monde, en opposition au Mal. Cela imprègne la politique étrangère pendant tout le XXe siècle et encore aujourd’hui. Ils interviennent dans les deux guerres mondiales au nom du Bien contre le Mal. Durant toute la Guerre froide, ils dénoncent dans l’URSS l’empire du Mal et ils dénoncent et combattent après la Guerre froide, l’axe du Mal définit par G. W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001 où le Président a lancé une « croisade pour la démocratie ». D’une certaine manière, c’est la religion au service du hard power pour reprendre définition de Joseph Nye.
La religion est aussi au service du soft-power. Dès le XIXe siècle, les EUA ont lancé des missions d’évangélisation dans le monde entier, par exemple avec les Témoins de Jéhovah qui ont évangélisé le Congo. Cette tradition est restée tout au long du XXe siècle. Des années 1960 à 1980, en pleine Guerre froide, les missions d’évangélisation se sont accélérées puisqu’il fallait lutter contre l’idéologie marxiste. C’est l’époque où les financements généraux ont été les plus importants, notamment à l’époque de Reagan qui finançait dans le monde entier les croisés de la liberté, notamment en Amérique latine où il y avait le danger « soviéto-cubain » comme on l’appelait à Washington. Si bien qu’aujourd’hui encore, la moitié des missions d’évangélisation protestante sont américaines. Parfois même le missionnaire suit le soldat, comme ce fut le cas durant la guerre d’Irak. Après 2003, lorsque les EUA ont cherché à reconstruire le pays, ils ont envoyé des missionnaires protestants évangéliques.
Conclusion
Si on les compare à la France, les EUA se sont sécularisés par le haut à l’époque des Pères fondateurs. Le pays prétend être laïc avec une séparation de l’État et des églises mais la laïcité est bien particulière par rapport à la laïcité européenne. Les religions restent tout à fait omniprésentes. La religiosité est très forte et elle définit très largement le citoyen américain qu’il soit protestant, catholique, musulman ou juif. C’est une partie très importante de son identité. On en revient donc à la phrase de Eisenhower : « peu importe à quelle église vous appartenez du moment que vous appartenez à une église ».