Guerre et patrimoine
I. Guerres mondiales et enjeux patrimoniaux
A. Le choc des villes rayées de la carte
Il est toujours assez délicat d’évoquer les dommages matériels des guerre au vu des atrocités faites aux victimes, qu’elles soient civiles ou militaires. Cependant, au XXe siècle, les enjeux patrimoniaux deviennent plus présents : les dégâts sont plus importants et participent directement au choc et au traumatisme de la population. Rayer une ville entière de la carte participe à ce qu’on a appelé la brutalisation de la guerre, c’est-à-dire une violence accrue de ces épisodes guerriers. Les guerres ont toujours été violentes, mais auparavant, elles avaient lieu plutôt sur des champs de bataille, qui étaient des zones peu peuplées.
Les guerres mondiales constituent donc une nouvelle étape dans ces enjeux patrimoniaux. Que ce soit dès la Première Guerre mondiale avec le choc de la ville de Reims, avec le centre-ville d’Arras, ou tout un ensemble de villes dans la Belgique et dans le nord de la France, des destructions massives ont eu lieu. Ce nouveau type de destruction est aussi lié à la nouvelle puissance de l’artillerie lourde qui traumatise véritablement les populations, d’autant que les obus tirés ne sont pas tombés là par accident : utiliser le patrimoine comme arme de guerre devient un but, car une ville détruite démoralise les civils qui peuvent alors se retourner contre leur gouvernement et gêner son action.
La Seconde Guerre mondiale a constitué une étape supplémentaire car un plus grand nombre de pays ont été concernés par ces destructions, avec des villes symboles comme Le Havre qui a été complètement détruit, ou encore des villes comme Berlin qui ont dû faire face à cette situation tout à fait inédite.
B. Quelle reconstruction : restitution ou modernisation ?
Une fois la guerre terminée, vient le temps de la reconstruction. Les États et les villes vont se positionner différemment dans les choix de reconstruction et deux solutions s’offrent à elles :
– Celle de la restitution, c’est-à-dire reconstruire à l’identique la ville que l’on a connue. C’est le parti pris utilisé à Gdansk en Pologne, où on a reconstruit une ville hanséatique avec des maisons à pignons. Cette restitution est un succès puisqu’aujourd’hui la ville est devenue très touristique et constitue une étape importante dans les croisières en mer Baltique.
– Celle de la modernisation. Des matériaux modernes, comme le béton armé, vont être utilisés, et de nouveaux concepts vont faire leur apparition : les villes se veulent plus hygiénistes, avec plus de lumière. L’architecture va également changer, comme dans la ville du Havre où Auguste Perret a innové avec des immeubles de logements collectifs dans un soucis de reconstruction rapide et à bas coût. Aujourd’hui, l’architecture de Auguste Perret est reconnu joyau mondial de l’Unesco.
Autant de cas de restitutions que de modernisations sont observés en Europe après la guerre.
C. L’importance des musées et mémoriaux
L’enjeu de la mémoire lie aussi guerre et patrimoine. L’extermination des Juifs a donné naissance à des lieux de la mémoire de la Shoah très nombreux mais des mémoriaux de la guerre en elle-même sont également créés, comme l’historial de Péronne ou le musée de Meaux, plus récent, sur la Grande Guerre, le mémorial de Caen, ou encore les plages du débarquement avec un petit musée mais qui est très important pour maintenir la mémoire de ces lieux.
II. Terrorisme et « crime de guerre culturel »
A. Une logique anti-occidentale
Le patrimoine, avec les différents États islamiques et groupes terroristes à l’origine des guerres ultra modernes et des nouveaux conflits du XIXe siècle, devient une cible privilégiée de destruction. Une logique anti-occidentale s’affirme à travers ces actes.
B. Les Bouddhas de Bamiyan et la cité de Palmyre
Le cas des Bouddhas de Bamiyan, Bouddhas géants qui avaient été construits en Afghanistan entre le IIe et Ve siècle et témoignaient de la période bouddhiste de cette civilisation, ont été détruits par les talibans en 2001 à coup d’artillerie lourde. Cet évènement a choqué très profondément la communauté internationale. Cet acte a manifestement été commis en représailles pour dénoncer l’accueil négatif du nouvel État par les puissances occidentales sur la scène internationale. Détruire le patrimoine active donc des leviers sensibles et mène à la réaction de la communauté internationale.
L’histoire s’est répétée avec Daesh en Syrie : le site archéologique de Palmyre a été détruit en 2005, paradoxalement par des Syriens eux-mêmes. Ces sites, hérités de civilisations plus anciennes, mettent en scène des idoles, dont la destruction manifeste que l’islam radical ne se reconnaît pas dans cet héritage.
C. ONU, UNESCO et TPI au secours du Mali
Enfin, le cas malien a marqué une nouvelle étape dans l’utilisation du patrimoine comme arme de guerre. En 2012, beaucoup de guerres complexes frontalières se déroulent dans cette zone, mais les terroristes vont également décider de détruire tout un ensemble de tombes et de manuscrits de la ville de Tombouctou, ville qui a connu son âge d’or au XVe et XVIe siècles. Cette ville était connue comme centre du commerce caravanier et comme centre de l’islam intellectuel, ce qui explique la présence de ces bibliothèques, écoles et manuscrits.
La destruction de cet héritage (qui s’intégrait dans le contexte d’une guerre générale au Mali dans laquelle la France est intervenue sous mandat de l’ONU) a transformé les objectifs de l’ONU, qui, pour la première fois, face à ces déprédations, a intégré à sa mission de maintien de la paix, l’Unesco (chargé de la culture) et le Tribunal pénal international. Les personnes arrêtées et jugées responsables de ces actes ont été accusés de crimes de guerre culturels. Cette notion très forte est donc née à l’occasion du conflit malien pour montrer la condamnation de la communauté internationale au sujet de la destruction de ce qui constitue le passé mais aussi l’avenir des populations, qui sans héritage de leur civilisation, ne peuvent plus se reconnaître, s’identifier et avoir des projets d’avenir.