Opinion publique et démocratie
Le développement de la démocratie, système au sein duquel le peuple est souverain, est étroitement lié au développement de l’opinion publique. La liberté de conscience, d’association, d’opinion, permettent l’émergence d’une opinion publique, peut-être différente de celle du pouvoir en place. Le concept d’opinion publique est assez difficile à saisir dans la mesure où c’est un concept qui revêt différentes définitions et l’existence d’une opinion publique fait débat.
Certains pensent que l’opinion publique est un simple artefact statistique qui émane des instituts de sondage. Pourtant, les hommes politiques parlent de l’opinion publique pour légitimer une loi, certains en parlent pour porter un mouvement social. L’opinion publique permet d’arbitrer la vie politique donc c’est un concept important au sein de la sociologie et de la science politique. Dans les sociétés démocratiques, la représentation de l’opinion publique a évolué.
I. L’opinion publique comme avis éclairé d’une élite ?
A. La bourgeoisie éclairée ?
C’est un concept qui apparaît au XVIIIe siècle. L’opinion publique est ici l’avis d’une partie de la bourgeoisie, en plein essor, qui entend influencer le pouvoir grâce à la publication de différents documents : des revues, des pamphlets, etc. Cette bourgeoisie se veut proche du courant des Lumières qui entend se servir de la raison pour contrecarrer un pouvoir jugé trop arbitraire.
B. La représentation nationale ?
Parallèlement, après 1989, l’opinion publique est aussi l’opinion des députés de l’Assemblée nationale et d’autres citoyens actifs qui donnent leur avis dans les journaux et dans les clubs.
C. Le peuple ?
En 1848 avec l’instauration du suffrage universel masculin, de nouveaux députés entrent à l’Assemblée nationale et entendent porter la voix du peuple. On assiste à la constitution d’un mouvement ouvrier qui peut manifester dans la rue et qui aimerait faire entendre leurs droits et le droit du plus grand nombre. Enfin, le développement de la presse permet aux journalistes de se faire les porte-paroles d’une partie de la population.
On voit bien ainsi que l’opinion publique est l’enjeu d’une lutte de pouvoir mais qu’elle émane d’une petite partie de la population souvent éclairée, politisée et active au sein de la sphère publique.
II. L’opinion publique comme avis de l’ensemble des citoyens ?
A. Sondage et opinion publique
Il y a une révolution au XXe siècle avec le développement des industries de sondage. Le sondage entend récolter l’avis d’une partie la population représentative à un moment donné sur un sujet précis. De nombreux chercheurs montrent que progressivement les sondages ont mesuré et ont représenté l’opinion publique : les sondages se sont davantage confondus avec l’opinion publique. Ce tour de force n’était possible que lorsque les intérêts des sondeurs ont rencontré ceux des hommes politiques.
Il y a une distinction entre la IVe et la Ve République. Par exemple, au sein de la IVe République, les sondages avaient moins d’intérêt puisque le gouvernement tirait sa légitimité du Parlement, et d’autres corps intermédiaires à savoir l’Église, les partis, les journaux. Avec l’instauration de la Ve République, cela change. La personnalisation du pouvoir, les scrutins majoritaires imposent au gouvernement et au chef d’État d’en savoir plus sur les citoyens et leurs opinions, citoyens qui sont moins enclins à obéir et à penser par rapport aux partis de masse traditionnels.
B. Avantages des sondages
Les sondages permettent la sélection des gouvernants et permettent d’anticiper les vainqueurs. Cela peut influencer le vote utile. Ils permettent aussi le contrôle des gouvernants car en regardant les sondages, les gouvernants doivent se justifier, et rendre compte de leurs actions. C’est un moyen pour l’opposition de se faire entendre. Enfin, les sondages assurent aussi la libre circulation des informations, ce qui est propre au pluralisme et au bon fonctionnement de la démocratie.
C. Limites des sondages
Les sondages font l’objet de critiques de la part de nombreux sociologues. Selon eux, l’opinion publique ne peut se réduire simplement aux résultats des sondages. Les questions seraient orientées, cadrées par ceux qui commandent des sondages d’opinion.
Principes et techniques de sondage
Les sondages ne concernent pas en premier lieu le monde de la politique. Dès les années noires aux États-Unis, des instituts effectuaient des sondages auprès d’entreprises à des fins commerciales. Aujourd’hui, la France est le deuxième pays au monde à utiliser le plus de sondages, les premiers sont les États-Unis. La pratique des sondages s’est peu à peu instituée dans le monde de la politique jusqu’à devenir indispensable, ceci même pour le pouvoir en place, car aujourd’hui l’Elysée et le gouvernement ont souvent recours à ce type d’enquête.
I. Principes et objectifs des sondages
Le premier principe est de récolter l’avis d’une population. Des chercheurs montrent que les sondages se sont peu à peu confondus avec l’opinion publique. On entend mesurer l’avis d’une population. On appelle cela la masse, c’est-à-dire une large partie de la population, une opinion populaire. Certains évoquent le terme de minorité silencieuse comme si, grâce au sondage, certains citoyens qui avant étaient peu enclins à opiner sur tel ou tel sujet publiquement, pouvait le faire maintenant.
Les instituts de sondages et les entreprises de presse travaillent ensemble et il y a une éthique journalistique. A cet égard, les sondages visent dans un premier temps à informer les citoyens. Les sondages ne constituent pas un outil de propagande, mais ils servent à informer les citoyens dans un monde social jugé complexe.
II. Méthodologie des sondages
Au début des sondages, il y avait différentes techniques mais elles se sont peu à peu homogénéisées à travers le monde.
La première technique est la technique de l’échantillonnage : on va mesurer une population à partir d’un échantillon. Si un échantillon est bien construit, donc représentatif, on peut généraliser. Un échantillon est représentatif lorsqu’il représente fidèlement la structure d’une population de référence. Chaque personne a la même probabilité de faire partie de cet échantillon.
Il existe d’autres modalités dans le recueil des réponses.
Des conventions se sont établies à la suite d’années de tâtonnements entre différents instituts de sondage :
– Premier objectif : comment récolter les réponses ? Est-ce qu’il faut faire du face-à-face ? Est-ce qu’il faut envoyer par voie postale les questions ? Ou est-ce qu’il faut avoir recours à l’entretien téléphonique ? Progressivement, au cours du temps, il y a eu une victoire de l’entretien téléphonique.
– Deuxième objectif : pour les questions, faut-il poser des questions ouvertes et fermées ? Ce sont les questions fermées qui vont paraître plus efficaces.
Concernant l’échantillon, on renseigne le revenu de la personne, son âge, son sexe, l’ethnie (cela est interdit en France, on interroge plutôt la catégorie socio-professionnelle). Le principe de pragmatisme, d’efficacité, à des fins commerciales et industrielles, l’a tout de suite emporté.
III. Limites des sondages
Pierre Bourdieu évoque trois limites :
– Le principe de mise en équivalence : la pensée que toutes les opinions se valent. Lorsque des sondeurs vont interroger des individus, ils ne vont pas faire la distinction entre des individus assez indifférents au sujet et d’autres qui ont une forte proximité avec le sujet. C’est oublier que les enjeux sociaux reposent sur des rapports de force entre collectif et que ce n’est même pas forcément de l’agrégation de simples opinions. Il faudrait donc trier les individus dans l’échantillon en fonction de leur proximité avec le sujet.
– L’imposition des questions : les commanditaires des sondages cadrent les questions. Pierre Bourdieu critique la capacité des acteurs dominants à imposer les débats, à contraindre les sujets, à mettre en évidence certains sujets et en occulter d’autres.
– Le problème des sans réponse. Il peut arriver qu’il y ait des individus qui ne savent pas répondre. Les instituts de sondage savent cela étant de minimiser le taux de non-réponses. C’est une limite parce que la proportion d’opinion solide et celle qui l’est moins est forcément inconnue. Cela nous invite à comprendre qu’il y a des individus qui ne savent pas forcément répondre, ce qui est peut-être une autre limite à l’utilisation des sondages.