État et religions en Inde
L’Inde deviendra aux alentours de 2030, le pays le plus peuplé du monde. De ce fait, il faut s’intéresser à la place de la religion dans la première population du monde. 99 % des habitants de l’Inde se déclarent croyants. La religiosité y est donc très forte et très enracinée, comme dans la plupart des pays d’Asie.
Le paradoxe de l’Inde, c’est d’être un État séculier depuis sa création en 1947. Malgré cette sécularisation indienne, le pays est travaillé par la monté du néonationalisme hindou qui a tendance à discriminer les autres religions et à créer des tensions interconfessionnelles qui recouvrent aussi des tensions interethniques et des fractures économiques et politiques.
La problématique de l’Inde émergente est sans doute de garder une unité nationale sur la base d’une grande diversité religieuse.
I. Un État multiconfessionnel à dominante hindouiste
Historiquement, l’hindouisme domine dans le pays. C’est une des religions les plus anciennes du monde. La tradition s’est fixée il y a très longtemps, comme avec le cycle de la Bhagavad-Gita. C’est une religion qui s’est imposée en Inde avec les invasions ariennes à partir du IIe millénaire avant notre ère. L’hindouisme a connu une éclipse au IIIe siècle avant notre ère sous l’empereur bouddhiste Akosha. Il a implanté le bouddhisme dans le pays et cette religion a dominé entre le IIIe siècle avant J.-C. et le IXe siècle.
L’hindouisme n’a jamais totalement disparu et est progressivement revenu, notamment à l’occasion des invasions musulmanes pendant le sultanat de Delhi au XIIIe siècle. Après la conquête musulmane, l’hindouisme redevient une référence identitaire importante pour une partie de la population qui supplante le bouddhisme. On peut le voir à travers la création de sectes comme le jaïnisme ou de syncrétismes comme le sikhisme qui mélange l’hindouisme et l’islam.
À partir du XIXe siècle, l’hindouisme connait une expression politique assez extrême. Se développe un ultranationalisme hindou qui remonte aux XIXe et XXe siècles, au moment où les mouvements indépendantistes se développent. À la droite du parti de Gandhi et Nehru, on trouve déjà un ultranationalisme hindou. En 1948, après la partition avec le Pakistan, c’est un nationaliste hindou qui assassine Gandhi.
Il faut également prendre en compte la présence de l’islam, d’abord venu par les routes caravanières terrestres et maritimes avant la création, au XIIIe siècle, du sultanat de Delhi. Cela s’est prolongé à partir du XVIe siècle sous l’Empire moghol que les Britanniques ont ensuite dominés.
Sous les Britanniques, il y a aussi l’implantation du christianisme. Les premières implantations chrétiennes ont aussi suivi les routes du commerce et de la première colonisation par les Portugais et les Hollandais. Les chrétiens ont ensuite profité des structures coloniales britanniques et françaises comme les comptoirs Français du sud de l’Inde. Ainsi, on a encore aujourd’hui des États très christianisés comme l’État de Goa dans le sud ou l’État du Kerala.
D’autres religions ultra-minoritaires existent : les Juifs se sont installés à Bombay sous la Rome antique lors de la destruction du Temple. Ils constituaient encore plusieurs dizaines de milliers d’habitants à Bombay au moment de l’indépendance. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une centaine.
Malgré ce grand nombre de religions, selon les estimations, 85 % de la population indienne est de confession hindouiste. La première des minorités est l’islam (15 %), ce qui représentent 180 millions de musulmans. Le reste des religions est ultra-minoritaire.
II. Un État séculier mais une société de caste
L’Inde a une idéologie officielle depuis sa création en 1947 et sa constitution en 1950. Cette idéologie est celle du sécularisme indien et n’a été codifiée qu’en 1976. L’État est séculier, c’est-à-dire qu’il « regarde les différentes religions avec la même bienveillance ». Cette tradition de tolérance, de liberté de croyance, remonterait à l’époque d’Ashoka (l’empereur bouddhiste) qui reconnaissait d’autres religions comme l’hindouisme. Cette tradition de liberté se serait perpétuée à l’époque des pouvoirs musulmans, sous les Moghols et les Britanniques.
Cette tradition ancienne et revendiquée par l’État indien qui ne reconnaît aucun culte supérieur aux autres. Dans les faits, la pratique est différente. L’hindouisme règne en maître et notamment le système des castes qui en dérive. On constate l’antagonisme entre le politique et le social car officiellement la constitution indienne de 1950 a aboli le système des castes. La constitution a été rédigée par Ambedkar, considéré comme le Père des intouchables, qui a voulu supprimer le système des castes et venir en aide aux intouchables qui étaient discriminés. Il existe deux grands systèmes de castes :
– Les Varna : les quatre grandes couleurs (varna = couleur). Elle donne la première des identités, notamment la caste des Brahmanes, caste supérieure des enseignants et des prêtres qui dominent les postes les plus importants.
– Les Jatis : les castes inférieures, castes locales qui viennent complexifier davantage le système.
La hiérarchie est marquée. Il y a aussi les intouchables, considérés comme des citoyens de second rang.
Bien que la démocratie indienne ait mené des politiques discriminatoires au profit des basses castes et des tribus autochtones et même si l’Inde a laissé se développer des partis politiques de basses castes, il reste de grandes discriminations politiques, économiques et sociales.
Ainsi, les intouchables ne sont alphabétisés qu’à 65 % alors que la moyenne nationale dépasse les 75 %.
Il y a aussi des différences géographiques avec des États bien plus pauvres que les autres. Notamment les États périphériques où se trouvent les minorités et les États très peuplés de la vallée du Gange.
L’autre dimension discriminatoire du système de caste réside dans le fait que les autres religions sont considérées comme étrangères à l’identité nationale. Ainsi, dans le concept d’hindouïté (Hindutva), l’Inde est considérée comme la mère Inde, la Bharat Mata. Les autres religions ne font pas partie de cette mère. Elles sont hors du système et leurs membres sont considérés comme des inférieurs, avec des discriminations contre les minorités musulmanes, en particulier dans le nord du pays. C’est la raison de graves tensions interconfessionnelles qui est une limite très importante à la démocratie indienne.
III. De graves tensions interconfessionnelles
Ces tensions opposent les hindouistes et les musulmans. On en a une expression de plus en plus importante même si le problème est ancien et qu’il remonte à la partition entre l’Inde et le Pakistan. Depuis les années 1890, alors que le néonationalisme hindou monte en puissance, il y a eu des affrontements violents autour de lieux de culte musulman et hindouiste. On peut évoquer des destructions de mosquées dès 1992 dans l’État d’Uttar Pradesh. Les affrontements interconfessionnels ont fait plus de 2 000 morts.
En 2002, il y a des affrontements très violents qu’on retrouve dans le Gujarat d’où est issu le premier ministre actuel Narandra Modi qui a été premier ministre du Gujarat et a mené une politique très nationaliste et pro hindouiste dans son État.
Ce néonationalisme s’incarne depuis les années 1990 dans un parti politique qui est le BJP (le Parti nationaliste hindou). Il a pris le pouvoir une première fois en 1998 au Parti du congrès jusqu’en 2004 et l’a récupéré avec Narendra Modi depuis 2013, qui mène une politique très nationaliste. On la considérerait en Occident comme à la fois raciste, discriminatoire et ultranationaliste.
L’idéologie officielle du BJP est une idéologie de l’hindutva. Le parti instrumentalise volontiers la violence interconfessionnelle à l’intérieur du pays sur laquelle vient se greffer les tensions avec le Pakistan. Depuis les tensions entre l’Inde et le Pakistan en 1947, il y a eu plusieurs guerres pour le Cachemire à la frontière entre les deux pays et partagé entre les deux pays. La dernière d’entre elles date de 1999, la guerre de Karjil, sur les hauts plateaux du Cachemire qui a failli éclater en guerre nucléaire puisque les deux pays sont dotés de l’arme nucléaire. Depuis cette époque, il y a une sorte de guerre par procuration qui passe par l’infiltration de djihadistes pakistanais en Inde qui perpètrent des attentats au nom de la défense des musulmans d’Inde et du Cachemire. En témoigne les attentats de Bombay en 2008. Tout cela renforce l’antagonisme entre hindouistes et musulmans.
On ne peut pas réduire les tensions interconfessionnelles à ce seul antagonisme. Il existe de la violence entre les différentes confessions et religions. Par exemple en 1984, la première ministre Indira Gandhi, fille de Nehru, a été assassinée par ses gardes du corps sikhs, du fait de sa politique discriminatoire.Son fils, Rajiv Gandhi, a été assassiné en 1991 par des Tamouls qui défendaient les Tigres Tamoul Bouddhistes.
On peut aussi évoquer des discriminations et des tensions avec les chrétiens. Dans les périphéries, notamment dans la périphérie montagneuse du nord-est de l’Inde, il existe des tribus autochtones qui combattent l’État central pour obtenir leur indépendance. C’est le cas de la tribu des Nagas qui voudrait constituer un Nagaland parce que les populations sont pauvres, discriminées et porteuses d’une identité différente.
Dans l’Assam, les populations hindouistes combattent les immigrés musulmans qui viennent du Bangladesh et forment les minorités rohingyas qui viennent depuis la Birmanie proche où elles sont combattues et discriminées par le pouvoir birman.
Conclusion
L’Inde, qui se présente comme la plus grande démocratie du monde, fondé sur le plan religieux sur le principe du sécularisme, connaît beaucoup de limites. Derrière la tradition de bienveillance et de liberté religieuse mise en avant dans le discours officiel, il y a en réalité une multitude de lignes de fractures entre les confessions et à l’intérieur même de la religion hindouiste du fait de la prégnance du système des castes.