La double énonciation
Exercice : la double énonciation
Texte : extrait de Tartuffe, acte IV, scène 5, Molière, 1669.
[Elvire, la femme d’Orgon, veut lui prouver que Tartuffe, faux dévot, souhaite coucher avec elle. Pour cela, elle a demandé à son époux de se cacher sous la table, il assiste donc à la scène à l’insu de Tartuffe.]
Tartuffe
(…) Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.
Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi ;
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
(Elmire tousse plus fort.)
Vous toussez fort, madame.
Elmire. Oui, je suis au supplice.
Tartuffe. Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse ?
Elmire
C’est un rhume obstiné, sans doute ; et je vois bien
Que tous les jus du monde ici ne feront rien.
Tartuffe. Cela, certes, est fâcheux.
Elmire. Oui, plus qu’on ne peut dire.
Tartuffe
Enfin votre scrupule est facile à détruire.
Vous êtes assurée ici d’un plein secret,
Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait.
Le scandale du monde est ce qui fait l’offense,
Et ce n’est pas pécher que pécher en silence.
Elmire, après avoir encore toussé et frappé sur la table.
Enfin je vois qu’il faut se résoudre à céder ;
Qu’il faut que je consente à vous tout accorder ;
Et qu’à moins de cela, je ne dois point prétendre
Qu’on puisse être content, et qu’on veuille se rendre.
Sans doute il est fâcheux d’en venir jusque-là,
Et c’est bien malgré moi que je franchis cela ;
Mais, puisque l’on s’obstine à m’y vouloir réduire,
Puisqu’on ne veut point croire à tout ce qu’on peut dire,
Et qu’on veut des témoins qui soient plus convaincants,
Il faut bien s’y résoudre, et contenter les gens.
Si ce consentement porte en soi quelque offense,
Tant pis pour qui me force à cette violence ;
La faute assurément n’en doit pas être à moi.
Questions
1. Quelles répliques sont directement adressées à Orgon, sans que Tartuffe ne s’en rende compte ?
2. Quelles autres répliques d’Elmire sont censées être comprises différemment par Tartuffe et par le public ?
3. Quel est l’effet produit, par conséquent, de la double énonciation ?
Le drame romantique
Exercice : le drame romantique
Texte : extrait de Hernani, acte I, scène 1, Victor Hugo, 1830.
[Don Carlos, le roi, vient chez Doña Sol dont il est amoureux pour devancer l’amant de celle-ci, et son ennemi, Hernani.]
Une chambre à coucher. La nuit. Une lampe sur une table.
Scène Première
Doña Josepha, seule.
Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre et met en ordre quelques fauteuils. On frappe à une petite porte dérobée à droite. Elle écoute. On frappe un second coup.
Serait-ce déjà lui.
Un nouveau coup.
C’est bien à l’escalier
Dérobé.
Un quatrième coup.
Vite, ouvrons.
Elle ouvre la petite porte masquée. Entre don Carlos, le manteau sur le visage et le chapeau sur les yeux.
Bonjour, beau cavalier.
Elle l’introduit. Il écarte son manteau, et laisse voir un riche costume de velours et de soie à la mode castillane de 1519. Elle le regarde sous le nez et recule.
Quoi ! Seigneur Hernani, ce n’est pas vous ! — Main-forte !
Au feu !
Don Carlos, lui saisissant le bras.
Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte !
Il la regarde fixement. Elle se tait effrayée.
Suis-je chez doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ?
Elle se tait. Il la secoue par le bras.
Vous répondrez peut-être.
Doña Josepha.
Vous m’avez défendu de dire deux mots, maître.
Don Carlos.
Aussi n’en veux-je qu’un. — Oui, — non. — ta dame est bien
Doña Sol De Silva ? Parle.
Doña Josepha.
Oui. — Pourquoi ?
Don Carlos.
Pour rien.
Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ?
Doña Josepha.
Oui.
Don Carlos.
Sans doute elle attend son jeune ?
Doña Josepha.
Oui.
Don Carlos.
Que je meure !
Doña Josepha.
Oui. (…)
Don Carlos.
Cache-moi céans.
(…)
Doña Josepha.
Moi, vous cacher !
Don Carlos.
Ici.
Doña Josepha.
Jamais.
Don Carlos, tirant de sa ceinture un poignard et une bourse.
Daignez, madame,
Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.
Questions
1. En quoi y a-t-il bien mélange des tons et des registres dans ce début de pièce ?
2. Observez l’alexandrin : qu’est-ce qui montre qu’Hugo ne souhaite pas respecter strictement les règles de la versification classique ?
3. Quels sont la période et le pays représentés ? Pourquoi selon vous ?
La mise en abyme
Exercice : la mise en abyme
Texte : extrait de Le Jeu de l’amour et du hasard, Marivaux, 1730.
[Silvia a décidé de se déguiser en sa femme de chambre Lisette, et de déguiser Lisette en elle-même, afin d’observer en toute discrétion celui qu’on lui promet pour époux (Dorante). Mario est son frère, M. Orgon son père.]
Silvia. Me voilà, monsieur ; ai-je mauvaise grâce en femme de chambre ? Et vous, mon frère, vous savez de quoi il s’agit apparemment. Comment me trouvez-vous ?
Mario. Ma foi, ma sœur, […] mais tu pourrais bien aussi escamoter1 Dorante à ta maîtresse.
Silvia. Franchement, je ne haïrais pas de lui plaire sous le personnage que je joue ; je ne serais pas fâchée de subjuguer sa raison, de l’étourdir un peu sur la distance qu’il y aura de lui à moi. Si mes charmes font ce coup-là, ils me feront plaisir : je les estimerai. D’ailleurs, cela m’aiderait à démêler Dorante. À l’égard de son valet, je ne crains pas ses soupirs ; ils n’oseront m’aborder ; il y aura quelque chose dans ma physionomie qui inspirera plus de respect que d’amour à ce faquin2-là.
Mario. Allons doucement, ma sœur ; ce faquin-là sera votre égal.
Monsieur Orgon. Et ne manquera pas de t’aimer.
Silvia. Eh bien, l’honneur de lui plaire ne me sera pas inutile ; les valets sont naturellement indiscrets ; l’amour est babillard, et j’en ferai l’historien de son maître.
Un valet. Monsieur, il vient d’arriver un domestique qui demande à vous parler ; il est suivi d’un crocheteur qui porte une valise.
Monsieur Orgon. Qu’il entre : c’est sans doute le valet de Dorante, son maître peut être resté au bureau pour affaires. Où est Lisette ?
Silvia. Lisette s’habille, et, dans son miroir, nous trouve très imprudents de lui livrer Dorante ; elle aura bientôt fait.
- escamoter : subtiliser (dans le sens où Dorante tomberait sous le charme de Silvia déguisée en servante).
- faquin : homme méprisable.
Questions
1. Relever les répliques qui parlent explicitement de la mise en abyme.
2. Comment Marivaux interroge-t-il la question de la place sociale grâce au déguisement de Silvia ?
3. Quel est le projet de Silvia derrière ce déguisement ?
Le monologue
Exercice : le monologue
Texte : extrait de Lorenzaccio, Musset, Acte IV scène 9, 1834.
[Le duc Alexandre de Médicis a demandé à Lorenzo, son complice en apparence, de lui donner sa tante Catherine. Mais en réalité, Lorenzo compte assassiner le duc et débarrasser ainsi Florence d’un tyran. Lorenzo répète ici la scène du meurtre.]
Une place; il est nuit. Entre Lorenzo.
LORENZO. […] Patience ! Une heure est une heure, et l’horloge vient de sonner. Si vous y tenez cependant – mais non, pourquoi ? – Emporte le flambeau si tu veux ; la première fois qu’une femme se donne, cela est tout simple. – Entrez donc, chauffez-vous donc un peu. – Oh ! mon Dieu, oui, pur caprice de jeune fille. – Et quel motif de croire à ce meurtre ? Cela pourrait les étonner, même Philippe1. Te voilà, toi, face livide ? (La lune paraît.) Si les républicains étaient des hommes, quelle révolution demain dans la ville ! Mais Pierre2 est un ambitieux ; les Ruccellai3 seuls valent quelque chose. – Ah ! les mots, les mots, les éternelles paroles ! S’il y a quelqu’un là-haut, il doit bien rire de nous tous ; cela est très comique, vraiment. – Ô bavardage humain ! ô grand tueur de corps morts ! grand défonceur de portes ouvertes ! ô hommes sans bras ! Non ! non ! je n’emporterai pas la lumière. – J’irai droit au cœur ; il se verra tuer… […] Pourvu qu’il n’ait pas imaginé quelque cuirasse4 nouvelle, quelque cotte de mailles. Maudite invention ! Lutter avec Dieu et le diable, ce n’est rien ; mais lutter avec des bouts de ferraille croisés les uns sur les autres par la main sale d’un armurier ! – Je passerai le second pour entrer ; il posera son épée là – ou là – oui, sur le canapé. – Quant à l’affaire du baudrier5 à rouler autour de la garde, cela est aisé. S’il pouvait lui prendre fantaisie de se coucher, voilà où serait le vrai moyen. Couché, assis, ou debout ? assis plutôt. Je commencerai par sortir. Scoronconcolo6 est enfermé dans le cabinet. Alors nous venons, nous venons ! je ne voudrais pourtant pas qu’il tournât le dos. J’irai à lui tout droit. Allons, la paix, la paix ! l’heure va venir. – Il faut que j’aille dans quelque cabaret7 ; je ne m’aperçois pas que je prends du froid, et je viderai un flacon. – Non; je ne veux pas boire. Où diable vais-je donc ? les cabarets sont fermés.
- Philippe : Philippe Strozzi, républicain à l’origine du meurtre du duc.
- Pierre : fils de Philippe Strozzi..
- Ruccellai: famille de seigneurs républicains.
- cuirasse : partie d’une armure qui recouvre le torse.
- baudrier : ceinture servant à soutenir l’épée.
- Scoronconcolo: valet de Lorenzo.
- cabaret : sorte de taverne.
Questions
1. Ce monologue est-il délibératif ? Introspectif ? Informatif ?
2. Comment Musset contourne-t-il le risque d’absence de dynamisme du monologue ?
La tragédie classique
Exercice : la tragédie classique
Texte : extrait de Britannicus, acte I, scène 1, Racine, 1669.
[C’est le début de la pièce : Agrippine, au petit matin, attend que son fils, le jeune empereur Néron, ne se lève. Elle a fait adopter Néron par son époux Claude, alors empereur, de telle sorte qu’il a pris la place de Britannicus, vrai fils de Claude.]
ALBINE.
Quoi ! tandis que Néron s’abandonne au sommeil,
Faut-il que vous veniez attendre son réveil ?
Qu’errant dans le palais, sans suite et sans escorte,
La mère de César veille seule à sa porte ?
Madame, retournez dans votre appartement.
AGRIPPINE.
Albine, il ne faut pas s’éloigner un moment.
Je veux l’attendre ici : les chagrins qu’il me cause
M’occuperont assez tout le temps qu’il repose.
Tout ce que j’ai prédit n’est que trop assuré :
Contre Britannicus Néron s’est déclaré.
L’impatient Néron cesse de se contraindre ;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gêne, Albine ; et chaque jour
Je sens que je deviens importune à mon tour.
ALBINE.
Quoi ! vous à qui Néron doit le jour qu’il respire.
Qui l’avez appelé de si loin à l’empire ?
Vous qui, déshéritant le fils de Claudius,
Avez nommé César l’heureux Domitius ?
Tout lui parle, madame, en faveur d’Agrippine :
Il vous doit son amour.
AGRIPPINE.
Il me le doit, Albine :
Tout, s’il est généreux, lui prescrit cette loi ;
Mais tout, s’il est ingrat, lui parle contre moi.
ALBINE.
S’il est ingrat, madame ? Ah ! toute sa conduite
Marque dans son devoir une âme trop instruite.[…]
Il la1 gouverne en père. Enfin Néron naissant
A toutes les vertus d’Auguste vieillissant.
AGRIPPINE.
[…] Toujours la tyrannie a d’heureuses prémices :
De Rome, pour un temps, Caïus fut les délices ;
Mais sa feinte bonté se tournant en fureur,
Les délices de Rome en devinrent l’horreur. […]
De quel nom cependant pouvons-nous appeler
L’attentat que le jour vient de nous révéler ?
Il sait, car leur amour ne peut être ignorée,
Que de Britannicus Junie est adorée :
Et ce même Néron, que la vertu conduit,
Fait enlever Junie au milieu de la nuit !
- Rome
Questions
1. Quelles sont les marques de la règle des trois unités ?
2. Comment se traduit le tragique dans cet extrait ?
3. Pourquoi Néron paraît-il si menaçant ?
Les types de comique
Exercice : les types de comique
Texte : extrait de George Dandin ou le Mari confondu, Molière, 1668.
[Il fait nuit. George Dandin veut prouver à sa belle-famille que son épouse lui est infidèle : il appelle pour cela son valet Colin.]
Scène 4
Colin, George Dandin.
Colin, à la fenêtre. Monsieur.
George Dandin. Allons vite, ici-bas.
Colin, en sautant par la fenêtre. M’y voilà : on ne peut pas plus vite.
George Dandin. Tu es là ?
Colin. Oui, Monsieur.
Pendant qu’il va lui parler d’un côté, Colin va de l’autre.
George Dandin. Doucement. Parle bas. Écoute. Va-t’en chez mon beau-père et ma belle-mère, et dis que je les prie très instamment de venir tout à l’heure ici. Entends-tu ? Eh ? Colin, Colin.
Colin, de l’autre côté. Monsieur.
George Dandin. Où diable es-tu ?
Colin. Ici.
George Dandin. (Comme ils se vont tous deux chercher, l’un passe d’un côté, et l’autre de l’autre.) Peste soit du maroufle qui s’éloigne de moi ! Je te dis que tu ailles de ce pas trouver mon beau-père et ma belle-mère, et leur dire que je les conjure de se rendre ici tout à l’heure. M’entends-tu bien ? Réponds. Colin, Colin.
Colin, de l’autre côté. Monsieur.
George Dandin. Voilà un pendard qui me fera enrager. Viens-t’en à moi. (Ils se cognent et tombent tous deux.) Ah ! le traître ! il m’a estropié. Où est-ce que tu es ? Approche, que je te donne mille coups. Je pense qu’il me fuit.
Colin. Assurément.
George Dandin. Veux-tu venir ?
Colin. Nenni, ma foi !
George Dandin. Viens, te dis-je.
Colin. Point : vous me voulez battre.
George Dandin. Hé bien ! non. Je ne te ferai rien.
Colin. Assurément ?
George Dandin. Oui. Approche. Bon. Tu es bien heureux de ce que j’ai besoin de toi. Va-t’en vite de ma part prier mon beau-père et ma belle-mère de se rendre ici le plus tôt qu’ils pourront, et leur dis que c’est pour une affaire de la dernière conséquence ; et s’ils faisaient quelque difficulté à cause de l’heure, ne manque pas de les presser, et de leur bien faire entendre qu’il est très important qu’ils viennent, en quelque état qu’ils soient. Tu m’entends bien maintenant ?
Colin. Oui, Monsieur.
Question
Quels sont les différents types de comiques à l’œuvre dans cette scène ?
Les types de parole au théâtre : tirade, stichomythies, aparté
Exercice : les types de parole au théâtre : tirade, stichomythies, aparté
Texte : extrait de Le Mariage de Figaro, acte III, scène 5, Beaumarchais, 1784.
[Le Comte, qui veut séduire la fiancée de Figaro, son valet, craint que ce dernier ne le sache : il veut voir sa réaction en lui ordonnant d’aller à Londres et de s’éloigner par conséquent du château. Figaro, qui est au courant de toutes les manigances de son maître, joue son jeu.]
Le Comte, en colère. […] (À part.) Je m’emporte, et nuis à ce que je veux savoir.
Figaro, à part. Voyons-le venir, et jouons serré.
Le Comte, radouci. Ce n’est pas ce que je voulais dire ; laissons cela. J’avais… oui, j’avais quelque envie de t’emmener à Londres, courrier de dépêches… mais, toutes réflexions faites…
Figaro. Monseigneur a changé d’avis ?
Le Comte. Premièrement, tu ne sais pas l’anglais.
Figaro. Je sais God-dam.
Le Comte. Je n’entends pas.
Figaro. Je dis que je sais God-dam.
Le Comte. Eh bien ?
Figaro.
Diable ! c’est une belle langue que l’anglais, il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. Voulez-vous tâter d’un bon poulet gras ? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche.) God-dam ! on vous apporte un pied de bœuf salé, sans pain. C’est admirable ! Aimez-vous à boire un coup d’excellent bourgogne ou de clairet ? rien que celui-ci. (Il débouche une bouteille.) God-dam ! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction ! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches ? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah ! God-dam ! elle vous sangle un soufflet de crocheteur : preuve qu’elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là, quelques autres mots en conversant ; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue ; et si monseigneur n’a pas d’autre motif de me laisser en Espagne…
Le Comte, à part. Il veut venir à Londres ; elle n’a pas parlé.
Figaro, à part. Il croit que je ne sais rien ; travaillons-le un peu dans son genre.
Questions
1. Relever les apartés : pourquoi ces répliques doivent-elles être dites « à part » ?
2. Relever la tirade : quelle en est la fonction ? À quoi sert-elle ?