Les facteurs de la mobilité sociale
La mobilité sociale correspond au déplacement des individus dans la hiérarchie sociale. La mobilité sociale inter-générationelle est le fait que les individus occupent une place différente de celle de leurs parents. Deux principaux facteurs permettent d’expliquer cette mobilité sociale.
I. Les transformations de la structure socio-professionnelle
La mobilité structurelle est permise par les changements au sein de la société. Depuis les Trente Glorieuses, certains secteurs prennent de l’ampleur tandis que d’autres décroissent. C’est la théorie de Sauvy appelée théorie du déversement selon laquelle à mesure que le secteur agricole décroît du fait d’une meilleure performance technique (impliquant un besoin moindre en main d’œuvre) on voit les individus se déverser d’abord vers le secteur secondaire puis vers le secteur tertiaire.
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Part de la population active en 1970 |
Part de la population active en 2016 |
Ouvriers |
36 % |
22 % |
Agriculteurs |
20 % |
4 % |
Employés |
19 % |
30 % |
Professions intermédiaires |
quasi inexistante jusque dans les années 1950 |
25 % |
Cadres |
quasi inexistante jusque dans les années 1950 |
17 % |
On passe ainsi de 20 % d’agriculteurs en 1970 en France contre 4 % en 2016. Le même processus s’observe pour les ouvriers avec un passage à 36 % d’ouvriers en 1970 contre 22 % en 2016.
En revanche, nous sommes passés à 19 % d’employés à 30 % en 2016. Quant aux catégories professions intermédiaires et cadres, quasiment inexistantes jusqu’aux années 1950, elles représentent aujourd’hui 25 % et 17 % de la population active.
Lorsqu’un secteur perd de l’importance en effectif, les enfants issus de ces secteurs (par exemple les enfants d’ouvriers) ne pourront pas tous travailler dans le même secteur que leurs parents (devenir ouvrier) parce qu’il n’y aura pas assez de postes disponibles. Ils sont obligés de participer à la mobilité structurelle et d’obtenir des postes différents de ceux de leurs parents. La conjoncture économique est donc déterminante. Cette mobilité est nécessaire car les cadres et les employés ne font généralement pas suffisamment d’enfants pour assurer leurs fonctions par la suite. On parle de différence de fécondité. Il y a donc un mouvement d’aspiration ou d’appel d’air créant une mobilité structurelle.
II. Le rôle de l’école
L’école a également un rôle déterminant dans la situation professionnelle et dans la mobilité sociale. Le diplôme est en partie déterminant de l’emploi futur occupé par un individu. En fonction des efforts investis à l’école, on doit connaître une mobilité ascendante ou descendante. Ces efforts devraient permettre un accès à une position sociale valorisée si la méritocratie fonctionne.
On assiste à une démocratisation de l’accès à l’école en ce sens qu’en 1851 seulement 1 % de la classe d’âge accédait au baccalauréat contre 65 % en 2006. Le baccalauréat était essentiellement masculin, privatiste et élitiste si bien qu’auparavant seulement une très minime partie de la population pouvait y accéder. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car on assiste à une ouverture de l’école à toutes les catégories sociales. On parle néanmoins souvent de démocratisation ségrégative car il existe des distinctions entre les baccalauréats professionnels ou généraux qui sont plus ou moins valorisés en pratique et ne permettent pas l’accès aux mêmes fonctions.
Les facteurs de la reproduction sociale
Dans une société méritocratique tous les individus devraient disposer des mêmes chances de connaître une mobilité sociale. Ainsi, un individu consacrant beaucoup d’efforts à l’école pourrait se voir récompensé d’un diplôme lui permettant d’avoir un bon emploi pour l’avenir. Or, on constate à travers les tables de mobilité que ce n’est pas le cas en réalité. Il apparaît en effet que certaines catégories se reproduisent de telle sorte que les enfants de cadres ont davantage de chances de devenir cadres. Il s’agit donc de comprendre cette reproduction sociale et ces mécanismes.
On parle souvent de démocratisation scolaire pour décrire ce phénomène d’ouverture de l’école à l’ensemble de la population. Le terme est erroné. Il faudrait plutôt parler de massification scolaire car une hausse de l’accès à l’école ne signifie pas pour autant que tous les individus en ressortent diplômés. L’origine sociale reste déterminante. Deux grands sociologues français apportent un éclairage sur la question. Il s’agit de Pierre Bourdieu et Raymond Boudon.
I. Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu est connu pour sa théorie des capitaux qui estime que les individus sont dotés de trois capitaux (+ le capital symbolique) :
– le capital économique (ensemble des richesses et des revenus dont dispose un individu),
– le capital culturel (savoirs, savoir-faire, habitus),
– le capital social (ensemble de relations qu’un individu peut mobiliser).
Bourdieu estime que le capital culturel est prépondérant pour réussir à l’école. Les catégories aisées auraient davantage de dispositions à s’intégrer dans le système scolaire. Il y aurait un système de valeurs implicites, une aptitude à connaître et se plier aux exigences de bonne conduite ou encore un rapport au savoir qui lieraient ces individus à l’école. On parle alors d’une sorte de symbiose. Le rapport à la lecture, aux sorties culturelles, à la connaissance également seraient des liens naturels entre ces catégories d’individus aisés et l’école. Les enfants issus de milieux populaires n’auraient pas forcément cette même aisance et subiraient une sorte de violence symbolique.
Pour Bourdieu, il n’est pas question de don naturel et inné pour réussir à l’école mais bien de transmission d’un savoir et d’un rapport à la culture dépendant du cadre familial. L’école serait donc un instrument de la reproduction sociale, voire un outil conçu par les catégories privilégiées à destination des catégories privilégiées. Il a une approche déterministe en ce sens que le milieu social d’origine serait déterminant dans les chances de réussite scolaire.
II. Raymond Boudon
Boudon a une approche différente de celle de Bourdieu. Il va regarder non pas l’inégale capacité à réussir à l’école mais va étudier des groupes d’élèves qui sont au même niveau de réussite et qui formulent des demandes d’éducation différentes. Il explique cela par un calcul coût-avantage. Les enfants de cadres auraient une demande d’éducation beaucoup plus forte et cela pour deux raisons :
– Premièrement, ils souhaitent ne pas être déclassés socialement par rapport à leurs parents (crainte d’une mobilité sociale descendante).
– Deuxièmement, ils disposent des capacités financières pour continuer leurs études.
Pour les enfants de cadres, la crainte d’une mobilité sociale descendante les incite à continuer leurs études. En revanche, les enfants issus de milieux populaires n’ont pas besoin de continuer longtemps leurs études pour arriver au même niveau professionnel que leurs parents, mais le coût des études est un enjeu plus important. Ils formulent ainsi des choix différents. Selon Boudon, les choix individuels auraient une importance particulière du fait d’un calcul coût-avantage différent selon le milieu d’origine.