Quelles sont les différentes conceptions de la justice sociale ?
La notion de justice sociale semble être un concept relativement facile à comprendre. Or, les points de vue, en ce qui concerne ce qui doit être juste d’un point de vue économique, loin de converger, peuvent diverger. Il en découle ainsi des doctrines assez différentes.
I. Définition
La justice sociale peut se définir comme étant un ensemble de principes qui indiquent comment répartir de manière juste les ressources au sein d’une société.
II. Les différentes formes de l’égalité
– L’égalité des droits vise à garantir les mêmes droits à tous les citoyens indépendamment de leurs caractéristiques, comme le droit de vote, le droit à la protection, le droit à la santé. Ce principe est rarement remis en cause dans les sociétés démocratiques.
– L’égalité des chances vise à assurer les mêmes chances ou opportunités dès le départ à tous indépendamment des caractéristiques sociales des individus. Ce principe vise à rendre une société plus équitable, puisqu’on sait que certaines caractéristiques peuvent être discriminantes, comme le sexe, l’âge, l’origine ethnique, etc. Ce principe d’égalité vise à discriminer positivement certaines populations pour les aider au départ. Si on prend l’exemple de l’Éducation nationale, on peut citer les zones d’éducation prioritaires ou les tiers-temps pour les personnes qui ont plus de difficultés ou qui sont malades. Cela permet de rendre les situations plus équitables au départ.
– L’égalité des situations vise à atténuer les disparités des conditions matérielles d’existence. Grosso modo, on va tenter de réduire les inégalités économiques et sociales en termes d’habitat, en termes d’accès à la santé ou en termes de revenu. Cette conception de l’égalité va un peu plus loin que les deux précédentes.
III. Quatre théories de la justice sociale
Quatre théories, quatre doctrines de la justice sociale font écho aux différentes formes d’égalité :
– Première théorie : l’utilitarisme
L’objectif du courant utilitariste considère que la société est juste dès lors que l’on vise à maximiser le bien-être de la société. On se focalise moins sur les individus mais davantage sur le bien-être global de la société dans son ensemble. Cela fait moins écho aux différentes formes de l’égalité. Néanmoins, l’utilitarisme en tant que courant philosophique a jeté les bases d’une réflexion sur la répartition des ressources économiques au sein des sociétés démocratiques. Le philosophe Jeremy Bentham en est le principal fondateur.
– Deuxième théorie : le libertarisme
Selon ce courant, une société est juste dès lors qu’elle garantit le respect des libertés individuelles dans la société. Il ne faut s’en tenir qu’à ce seul objectif, qui renvoie à l’égalité des droits. Il ne faudra pas aller au-delà de façon à assurer la justice sociale, sinon cela pourrait à terme menacer les libertés individuelles et l’ordre naturel des choses. Friedrich Hayek en est un représentant.
– Troisième théorie : l’égalitarisme libéral
On vise à associer des éléments du libéralisme, avec le respect des libertés individuelles, mais également de l’égalitarisme, c’est-à-dire favoriser la solidarité entre les individus dans une société. On part du principe qu’on va peut-être donner davantage à certains individus ou groupe d’individus au départ, parce qu’ils sont désavantagés. Mais à la fin, les inégalités de résultats ne sont pas considérées comme illégitimes, car on a fait un ajustement au préalable. Le philosophe John Rawls en est le principal représentant. Cette doctrine se rapproche davantage de la forme de l’égalité des chances.
– Quatrième théorie : l’égalitarisme strict
Il vise à terme à réduire les inégalités économiques et sociales au sein d’une société. On se rapproche davantage de l’égalité des situations et donc on réduit vraiment les inégalités de revenus, d’espérances de vie, d’habitats, etc. La figure intellectuelle de référence est Karl Marx, observateur de la société qui se développait dans l’Europe occidentale au XIXe siècle et qui a vu les inégalités exploser.
Évolution et cumulativité des inégalités
Une inégalité est une différence qui se traduit en termes d’avantage ou de désavantage entre différents groupes d’individus au sein d’une société. On souligne principalement deux types d’inégalité économique : les inégalités de revenu ou les inégalités de patrimoine. Les inégalités sociales sont beaucoup plus nombreuses, comme les inégalités d’accès à la santé, au logement ou des discriminations.
I. Les grandes évolutions des inégalités au XXe siècle
A. Une baisse globale des inégalités au cours du XXe siècle
Durant le plein essor industriel, les inégalités ont augmenté dans un premier temps car cet essor avait davantage favorisé des groupes d’individus qui avaient investi dans le secteur industriel. Néanmoins, avec le développement économique, la tertiarisation de l’économie, la mise en place de politiques redistributives et la mise en place d’un système éducatif qui permet à de plus en plus d’individus d’être scolarisés, les inégalités ont baissé au fur et à mesure du temps. Ainsi, selon l’analyse de Simon Kuznets, l’évolution des inégalités se fait en deux temps : premièrement, essor des inégalités, secondement, vient une tendance baissière.
B. Une résurgence des inégalités depuis les années 1980
Dans les économies développées, il y a une résurgence des inégalités depuis les années 1980. L’analyse de Simon Kuznets apparaît donc incomplète. Cette résurgence est observée en utilisant des indicateurs, comme l’indice de Gini. Il s’est dégradé pour les pays de l’OCDE. Cette résurgence est principalement structurelle, c’est-à-dire que le chômage a augmenté, la croissance a baissé et les politiques redistributives ont évolué. La fiscalité est moins pesante sur les plus aisés qui tirent une bonne partie de leurs revenus de leur patrimoine. Des catégories favorisées ont beaucoup plus d’argent ou de patrimoine, certaines catégories stagnent voire régressent. Mécaniquement, cela fait augmenter les inégalités économiques.
II. La cumulativité des inégalités
A. Une inégalité économique peut entraîner une autre inégalité économique
Par exemple, une inégalité de revenus : je gagne peu d’argent => j’accumule peu ou pas de patrimoine.
B. Une inégalité sociale peut entraîner une autre inégalité sociale
Par exemple, un faible diplôme peut conduire au chômage ou à un contrat à durée déterminée. Cela peut se répercuter sur une opportunité à trouver facilement ou pas un logement. Une inégalité en termes de diplôme peut se traduire ou peut entraîner une inégalité d’accès au logement.
C. Une inégalité économique peut entraîner une inégalité sociale
Par exemple, un individu qui a des faibles revenus peut avoir moins accès à la santé car certaines prestations ne sont pas remboursées par la protection sociale.
D. Une inégalité sociale peut entraîner une inégalité économique
Ainsi, les discriminations sont des inégalités de traitement. Les femmes gagnent en moyenne, à poste équivalent, moins que les hommes. On traite les femmes d’une autre manière que les hommes, et cela entraîne une inégalité de revenus.
E. Le processus cumulatif des inégalités
Des individus cumulent tellement d’inégalités qu’elles se nourrissent entre-elles et qu’elles forment un système d’inégalités.
Prenons par exemple un individu qui est issu d’un milieu social défavorisé. Ces parents lui transmettent peu de capitaux économiques, peu de capital social (réseau, carnet d’adresses) et peu de capital culturel (connaissances). La trajectoire scolaire de cet individu risque donc fort d’être moins prestigieuse qu’un autre individu avec plus de capitaux. Il obtient des diplômes moins prestigieux, peu valorisés. Cela se répercutera sur le marché du travail. Il a un métier peu valorisé, peu rémunéré. Il aura une consommation moindre, plus de difficultés à accéder au logement. Ainsi, cela se transmet de génération en génération.
L’homogamie sociale (avoir comme conjoint une personne issue de son milieu social) est forte en France. On sait que les ouvriers ont comme conjoint des employées. C’est pour cela que des politiques de l’Etat sont nécessaires, des politiques de justice sociale, afin de pallier ces systèmes d’inégalités qui mettent en cause la cohésion sociale.