États et religions d'hier à aujourd'hui : les relations États-religion, une question ancienne
I. Les relations États-religions : une question ancienne
La religion est étymologiquement ce qui relie les hommes entre eux et ce qui relie les hommes à Dieu. La religion est un ensemble de croyances, de dogmes, qui organisent la relation de l’homme au sacré. Elle désigne également un ensemble de rites effectués par les croyants : un code de vie, une morale, que le croyant doit suivre. Les religions sont prisent en charge par des Églises. Église vient du terme latin ecclesia qui désignait la communauté des croyants dans l’Antiquité. L’Église est une institution avec une hiérarchie ecclésiastique qui enseigne les dogmes, fait respecter les rites, etc. Par extension, on évoque aussi des religions, comme la « religion du progrès » pour souligner la croyance dans des valeurs laïques et non plus des valeurs sacrées.
L’État est la forme institutionnalisée du pouvoir politique, lorsque celui-ci s’incarne dans un gouvernement (qu’il soit monarchique ou républicain, démocratique ou non) et qui s’incarne dans des administrations qui contrôlent un territoire. Poser la question des relations entre État et religions amène à poser la question de la confusion entre ces deux institutions ou de leur séparation.
C’est là qu’intervient la notion de sécularisation, qui vient du terme du siècle qui s’oppose à l’intemporel, à la vie de l’esprit et aux croyances. La sécularisation décrit un processus d’éloignement du religieux vis-à-vis du politique, vis-à-vis de l’État. Elle évoque également plus généralement le déclin de la religion dans la société qui peut aller jusqu’à la laïcité (jusqu’à la séparation complète de l’État et de l’Église) et la neutralité de l’État vis-à-vis des églises (quand la croyance n’est plus une affaire publique mais une affaire privée). Toutefois la sécularisation ne va pas nécessairement jusqu’à la laïcité. La sécularisation est un processus qui concerne principalement le monde occidental, puisque elle reste aujourd’hui moins avancée dans les autres régions du monde.
A. Antiquité et Moyen Âge
On pense souvent que la sécularisation est un phénomène contemporain, qui remonterait à la fin du XVIIIe siècle avec les Révolutions ou à la fin du XIXe siècle avec la Révolution industrielle. Or, la sécularisation a des racines beaucoup plus anciennes, dès l’Antiquité et le Moyen Âge.
A l’Antiquité, après la mort d’Auguste, l’empereur romain prend le titre de grand pontif et on lui voue un culte.
Au Moyen Âge, dans l’Europe chrétienne (qu’on appelle à l’époque la chrétienté), le pouvoir de l’Église est omniprésent. Le pape dispose de ce qu’on appelle le pouvoir des « deux glaives » :
– le pouvoir spirituel : il domine les croyances et est l’intermédiaire entre Dieu et les hommes ;
– le pouvoir temporel : le pouvoir politique sur le monde chrétien.
Ainsi Charlemagne fût sacré empereur en 800 par le pape et tire sa légitimité politique du pape tandis que le pape trouve un protecteur. Il y a donc confusion entre l’entité religieuse et l’entité politique.
Cette confusion est encore plus marquée dans l’Empire byzantin, dans lequel le basileus, l’empereur, est dit autocrator, c’est-à-dire tout-puissant : il dirige à la fois le politique et le religieux.
Dans le monde musulman ce sont les califes, successeurs de Mahomet, qui cumulent les fonctions de chefs religieux, militaire et politique, à l’instar du Prophète.
Cependant, au cours du Moyen Âge, on constate une certaine distanciation entre le politique et le religieux en Europe. En France apparaît une forme d’éloignement entre le pouvoir temporel et spirituel à l’époque de Philippe le Bel. Au XIVe siècle, les juristes de sa cour introduise le gallicanisme, nouvelle doctrine par laquelle seul le roi gouverne son royaume, il laisse juste au pape la spiritualité.
B. La Renaissance et la Réforme
Le grand tournant de la sécularisation se réalise à partir du XVe et du XVIe siècles. Les grands penseurs de la Renaissance mettent l’homme au centre de leurs considérations, on parle d’Humanisme. Ils pensent l’homme pour lui-même, avec son libre arbitre et son autonomie vis-à-vis du religieux et cela prépare des évolutions futures. C’est ce qu’explique Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde en disant que le christianisme est la religion de la sortie de la religion, car elle émancipe l’homme.
En matière scientifique, on trouve de nouvelles représentations du monde et du temps qui émancipent l’homme de ce qu’on appelait l’obscurantisme du Moyen Age, comme les travaux de Galilée puis de Kepler et de Newton.
Parallèlement, sur le plan religieux, se produit la Réforme protestante. Les 95 thèses de Luther en 1497 et les thèses de Calvin, dénoncent l’emprise de l’Église catholique et ses abus. La Réforme dénonce l’autorité ecclésiale et prône désormais que chaque individu puisse avoir un lien direct aux Écritures, à la Bible, et devienne en quelque sorte son propre pasteur.
La religion reste malgré tout l’élément structurant des sociétés à l’époque. En France, c’est le temps des guerres de religion, auquel l’édit de Nantes met fin en 1598 avant d’être aboli par Louis XIV. Entre temps, pour devenir roi de France, Henri IV est contraint de se convertir du protestantisme au catholicisme, ce qui montre l’importance du religieux dans la vie politique. En Angleterre, Henri VIII décide de rompre avec la papauté et de fonder sa propre église, l’Église anglicane, indépendante du Vatican.
C. Les Lumières et les Révolutions
Il faut attendre une troisième rupture : celle des Lumières et des Révolutions (française et américaine), pour voir l’émergence d’une véritable liberté de croyance et le début des principes de séparation de l’Église et de l’État et de laïcité.
Les penseurs des Lumières, comme Voltaire, défendent la liberté de conscience, la liberté religieuse, ainsi que la tolérance à l’égard des autres religions. Ces principes sont traduits dans la Révolution américaine (les Pères fondateurs prévoient la liberté de conscience dans la Déclaration d’indépendance et dans la Constitution) et dans la Révolution française (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789).
Se dessine alors le principe de laïcité qui suppose qu’il n’y ait pas de religion d’État (pas de religion exclusive imposée à toute la population d’un État), ni de religion de l’État (pas de religion préférée, privilégiée par l’État). L’État doit rester neutre : la religion devient une affaire personnelle et non plus publique.
De plus, en France, lors de la Révolution, les biens du clergé sont nationalisés : l’État les vend pour rembourser sa dette. En échange de cela, l’État emploie directement les prêtres et subventionne les cultes, une politique ensuite entérinée par le Concordat de Napoléon de 1801. C’est aussi l’État en France qui prend en charge le système hospitalier et de charité.
États et religions d'hier à aujourd'hui : des sociétés contemporaines de plus en plus sécularisées
II. Des sociétés contemporaines de plus en plus sécularisées
A. L’essor de la société industrielle
L’accélération de la sécularisation est liée à l’essor de la société industrielle au XIXe siècle. La société industrielle marque l’apparition du socialisme marxiste avec Marx qui dénonce la religion comme l’opium du peuple et qui propose d’organiser le prolétariat en une classe unique combattant la bourgeoisie.
Le XIXe siècle est également l’époque de la pensée du positivisme ou du scientisme. Une frange de la population croit dans le progrès, dans la science, qui invalide les doctrines religieuses.
C’est ainsi qu’en France, Auguste Comte a forgé sa propre religion, le comtisme, résumé par la formule « ordre et progrès ». Celle-ci postule l’avènement d’un âge positif : celui où l’homme, par l’industrie, par la science et par les techniques, prend son destin en main.
Autre nouveauté introduite par la société industrielle : le consumérisme, nouvelle façon de consommer dans les classes moyennes. On se détache ainsi de la croyance religieuse et du spirituel pour être davantage attaché aux biens matériels, terrestres. C’est ce qui explique le déclin de la foi religieuse dans les sociétés industrielles, même s’il persiste dans ces sociétés certains éléments qui relèvent d’un bain culturel chrétien.
B. Différentes voies de sécularisation
Aux XIXe et XXe siècles, il existe différents rythmes et modes de sécularisation, qui dépendent des pays :
– La France : le processus de sécularisation a été lent et progressif. Il débute lors de la Révolution française qui débouche sur le Concordat, où l’on reconnaît le catholicisme comme religion de la majorité des Français, puis s’achève sur la loi de séparation des églises et de l’État de 1905, soit un siècle plus tard. A ce moment, on passe à une laïcité très forte, à une laïcité militante selon Danièle Hervieu-Léger, qui nie dans l’espace public tout signe ostentatoire de religion et de pratiques religieuses.
– Les États-Unis : la sécularisation a été imposée par le haut, brutalement, autour des Pères fondateurs (Washington, Jefferson, Madison, etc.) au moment de la déclaration d’indépendance et de la Constitution de 1787. C’est une société à la fois laïque, où l’État est séparé des Églises, mais en même temps très religieuse. Eisenhower disait dans les années 1950 « peu importe à quelle église vous appartenez, du moment que vous appartenez à une église ».
– La Turquie est un autre exemple de sécularisation imposée par le haut, avec Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne (années 1920), qui abolit le califat et crée de toute pièce une république laïque, laïcité rimant avec modernité.
Les pays qui ont connu des expériences de communisme ou de socialisme réel, comme la Russie devenue l’URSS en 1922, ou la République populaire de Chine à partir de 1949, ont connu des sécularisations expresses : églises détruites, cultes interdits et prêtres pourchassés. Par exemple, le Dalaï Lama au Tibet, a été chassé de Chine. Le Dalaï Lama incarne au contraire un culte qui n’est absolument pas sécularisé, puisqu’il dispose du pouvoir temporel et spirituel. Le bouddhisme tibétain forme ainsi plutôt une théocratie sans État, puisque le Dalaï Lama est réfugié en Inde.
C. Une nouvelle place pour l’Église catholique
C’est l’Église catholique qui a été la plus touchée dans le monde par ces processus de sécularisation. Celle-ci a obtenu une nouvelle place au cours des XIXe et XXe siècles. Pendant le XIXe siècle, dans un premier temps, l’Église a fortement résisté au processus de sécularisation. En 1864, le syllabus du pape Pie IX dénonce toutes les « erreurs » de la modernité, parmi lesquelles la sécularisation et la laïcité. L’Église catholique n’a évolué que très tardivement, à partir des années 1890.
Elle a parallèlement très mal vécu l’évolution des États pontificaux lors de l’unification italienne. Le pape s’est retrouvé sans État, prisonnier de Rome, et il a fallu attendre les accords de Latran en 1929, signés entre le pape et l’Italie mussolinienne, pour que le pape soit doté d’un tout petit État, le Vatican. Le pape s’est alors trouvé détaché de son pouvoir politique mais il a déployé son influence spirituelle à l’international. L’Église a fini par accepter le processus de sécularisation lors des accords de Latran II dans les années 1960. C’est aussi à ce moment que l’Église catholique finit par accepter la liberté de croyance et de culte, et promeut un dialogue inter-religieux.
États et religions d'hier à aujourd'hui : différents types de rapport entre États et religions
III. Différents types de rapports entre États et religions
A. En Occident, une sécularisation poussée
En Occident, la sécularisation est très poussée et va de pair avec une déchristianisation comme décrit dans la thèse de Marcel Gauchet (le christianisme est la religion de sortie de la religion). En Europe, il existe actuellement 43 % d’athées : c’est une proportion record au niveau mondial.
Exemple de la France : un des pays les plus sécularisés en Europe et dans le monde. Il y a 40 % de croyants, 53 % d’athées et 7 % d’indécis. Ainsi, les deux tiers de la population sont éloignés de la religion. Il n’y a que 4 % des Français catholiques qui déclarent encore aller à la messe. Il y a donc une baisse de l’observance des rites mais aussi des vocations religieuses (l’âge médian des prêtres est supérieure à 75 ans).
Les trois quarts des Européens considèrent avoir des racines chrétiennes mais les croyances et surtout les pratiques religieuses sont en fort déclin sur le continent.
Les États-Unis connaissent une évolution de plus en plus nette de déchristianisation : on ne compte que 10 % d’athées, mais un tiers des américains qui se disent croyants ne croient pas dans le dieu de la Bible.
Comme l’explique la sociologue américaine Grace Davie, en quelques générations on est passé de la religion par héritage (religion qu’on héritait de nos parents) à une religion par choix. Désormais, on fait le choix de croire ou de ne pas croire, et cette religion se fait davantage sur des lignes individuelles. Elle est plutôt éloignée des dogmes et rites officiels, mélangeant dans des syncrétismes (assemblages) parfois originaux des éléments de religion chrétienne, bouddhiste, etc., de différentes morales religieuses.
B. Des systèmes diversifiés toutefois
Même si les sociétés en Occident sont fortement sécularisées, les systèmes qui relient les religions et l’État sont très différents d’un pays à un autre. On peut distinguer trois grands systèmes d’organisation entre le religieux et l’État dans le monde occidental (selon les catégories proposées par Bérengère Massignon dans L’Europe avec ou sans Dieu de 2010) :
– Premier système : ceux qui ont toujours une religion d’État. C’est le cas des pays scandinaves, qui sont luthériens (à l’exception de la Suède et de la Norvège) mais c’est le cas en Finlande, Islande et au Danemark. On trouve également des systèmes de religions d’État dans des pays méditerranéens : Malte, Grèce, ou des pays d’Amérique latine : Argentine, République dominicaine, Costa-Rica. A cette liste s’ajoute l’Angleterre et l’Écosse. En Europe de l’Est on peut également ajouter la Bulgarie. Dans tous ces pays, le niveau de sécularisation reste très peu poussé.
– Deuxième système : niveau intermédiaire où il existe encore un lien entre l’État et la religion, ne serait-ce que du point de vue de la subvention des cultes ou du versement du revenu des prêtres. C’est le cas de l’Allemagne, de l’Autriche, ou de la Suisse. La Belgique ou l’Italie se trouvent aussi dans cette configuration. Dans ces pays, le cordon entre l’Église et l’État n’a pas été complètement coupé. On retrouve le même cas de figure en Amérique latine, où les liens entre l’Église et l’État sont forts. Au Brésil, seuls 8 % des gens se déclarent non-croyants, les églises évangéliques effectuent une poussée remarquable.
– Troisième système : système séparatiste à la française, avec une séparation stricte entre l’État et les églises. On retrouve ce système dans des pays aussi divers que le Portugal, l’Irlande et les Pays-Bas.
Ainsi, lorsqu’on parle de laïcité en Europe et plus généralement dans le monde occidental, on ne parle pas nécessairement de la même chose.
C. Hors Occident : une sécularisation limitée
Ailleurs dans le monde, la sécularisation est très limitée, c’est pourquoi le sujet de la sécularisation dans le monde, reste un sujet très occidentalo-centré.
Dans le monde arabo-musulman, il existe encore un grand nombre de théocraties : des systèmes politiques dans lesquels le religieux et le politique sont confondus, et où souvent les autorités religieuses dominent le politique. C’est le cas en Iran, en effet, le pouvoir suprême appartient à l’ayatollah (premier chef religieux) et aux mollahs qui l’entourent (autres chefs religieux). En-dessous, on trouve le pouvoir politique, la république iranienne et son gouvernement, qui reste sous le contrôle des mollahs.
C’est le cas également en Arabie saoudite, où la famille régnante, la famille Saoud, tire son pouvoir du wahhabisme, c’est-à-dire une lecture nationale, très rigoriste de l’islam qui provient du XIXe siècle et de la prédication de Mohammed ben Abdelwahhab.
Dans un grand nombre de pays musulmans, l’islam reste une religion d’État, par exemple en Irak, au Koweït, à Oman, mais aussi en Algérie. On peut opposer l’Algérie aux deux autres pays du Maghreb : la Tunisie et la Maroc. Après les printemps arabes, en 2014, la Tunisie a été le premier pays d’Afrique du Nord à se doter d’une constitution dans laquelle sont inscrits comme principes fondamentaux la liberté de conscience et la laïcité. Le Maroc est dans une situation intermédiaire car l’islam est la religion d’État mais l’État marocain laisse la liberté de conscience et de culte à ses citoyens.
Du côté de l’Asie du Sud-Est, des grands pays musulmans comme l’Indonésie et la Malaisie sont deux modèles différents de sécularisation. D’un côté, la Malaisie, pays d’islam d’État, applique la charia et les musulmans ont interdiction de renoncer à leur religion. L’Indonésie est un État laïque qui prône la liberté de conscience et qui protège ses minorité. Les systèmes sont donc très différents dans le monde musulman, même si on assiste à une réislamisation par le bas des sociétés.
D’autres pays d’Asie sont à bouddhisme d’État : Thaïlande, Cambodge, Laos, Birmanie, Sri Lanka. Cela peut mener à des affrontements (au Sri Lanka entre Bouddhistes et Tamouls ; en Birmanie, entre Bouddhistes et Rohingyas).
Le Japon est le seul pays a posséder une double religion d’État : le bouddhisme et le shintoïsme.
On trouve également d’autres exemples ambivalents dans les anciens pays communistes que sont la Chine et la Russie. En Chine, plus de la moitié de la population est non-croyante : le communisme a durablement repoussé la religion et continue de le faire aujourd’hui. Les religions sont persécutées.
En Russie toutefois, où théoriquement la religion a été extirpée du pays pendant l’URSS, seuls 15 % des Russes se disent non-croyants. Les 85 % de croyants rattachent de plus en plus leur identité nationale au christianisme orthodoxe. Le pouvoir politique de Poutine est très lié au patriarcat de Moscou et au patriarche Cyrille de Moscou (autorité religieuse dans le christianisme orthodoxe). On trouve ainsi une sorte de nouvelle alliance du trône et de l’autel qui vise à consolider l’identité et la puissance russe.
Dans le sous-continent indien, on se trouve dans une situation tout-à-fait ambiguë. En Inde, depuis l’indépendance, on professe un sécularisme de l’État : c’est-à-dire que l’État ne reconnaît aucun culte parmi d’autres et les protège tous. Pourtant, aujourd’hui, l’État est travaillé par un néo-nationalisme hindou exclusif, qui tend à discriminer la minorité musulmane importante dans le pays ainsi que les autres religions. En Inde, la sécularisation est tellement peu poussée que seulement 1 % de la population se dit non-croyante.