La diversification du monde vivant
La vie serait apparue sur Terre, il y a 3,7 à 3,8 milliards d’années (giga années). À partir d’êtres vivants unicellulaires, s’est formée une complexité du monde vivant avec toutes les espèces qu’on a pu connaître ou qu’on connaît encore actuellement sur Terre. On considère donc qu’à partir d’une cellule unique, on assiste à l’existence de 8 à 10 millions d’espèces actuelles (animales, végétales, bactériennes, de champignons, etc.). Il y a donc une extrême diversité du vivant et à cela s’ajoute toute la diversité disparue puisqu’une espèce a une durée de vie limitée. Il y a donc une rotation des espèces : certains disparaissent et d’autres apparaissent. Il y a une diversification permanente des formes de vie sur Terre.
I. Mécanismes de création de la diversité dans le monde vivant
Les mutations (modifications ponctuelles de l’ADN) sont aléatoires et permettent une diversification des formes de vie. Dans une espèce, les mutations sont responsables de la diversité des individus, et s’ajoutent aux mécanismes de brassage génétique.
Par ailleurs, les espèces sont toutes soumises à la sélection naturelle et à la dérive génétique qui sont deux mécanismes qui font varier les fréquences des allèles dans une population ou dans une espèce.
II. Mécanismes de diversification du monde vivant
A. Mécanismes avec modification des génomes
– La polyploïdisation : augmentation du nombre de chromosomes au-delà du nombre classique noté 2n. Lorsque les chromosomes ne sont plus par paires mais par triplets, on parle de 3n chromosomes par cellule, les cellules sont triploïdes. On peut même parler de quadruploïde lorsque les chromosomes sont en quatre exemplaires au lieu de trois. La polyploïdisation est donc le mécanisme par lequel, à un moment au cours de l’évolution d’une espèce, on va passer de 2n à 3n puis 4n voire à encore plus de chromosomes. Cette polyploïdisation peut se faire selon différents mécanismes. Par exemple, la fraise ou le blé ont connu des croisements d’espèces (hybridations) et des polyploïdisations. On considère que le blé est une espèce polyploïde donc elle possède dans son génome, des chromosomes à plus de deux exemplaires. Cette polyploïdisation peut aboutir à la naissance de nouvelles espèces.
– Les transferts horizontaux : un transfert est dit horizontal lorsqu’il concerne des individus qui ne sont pas les descendants l’un de l’autre. L’ADN est transféré horizontalement, c’est-à-dire d’un individu à un autre, sans qu’il y ait de lien de parenté entre les deux. Cela s’oppose aux transferts verticaux qui se font au niveau du patrimoine génétique lorsque deux individus ont une descendance. Dans les transferts horizontaux, il y a acquisition d’un nouveau ou de nouveaux gènes. Par exemple, ces transferts horizontaux peuvent se faire entre les virus et les animaux lorsque les virus infectent les animaux. Prenons la syncytine, un gène qui permet la formation du placenta chez les primates. La formation de placenta nécessite la présence de syncytine et le gène qui la code serait d’origine virale, c’est-à-dire qu’un virus, au cours de l’évolution des primates, en a infecté certains et leur a légué un gène viral qui permettait déjà au virus de participer à la fusion de sa structure virale avec les cellules qu’il ciblait. Il y a donc des déplacements d’ADN d’un individu à un autre : apport d’un ou de plusieurs nouveaux gènes dans le génome de l’espèce par transfert horizontal. On modifie le génome puisqu’on y ajoute certains gènes qui vont apporter de nouvelles propriétés pouvant aboutir à de nouvelles capacités et éventuellement à de nouvelles espèces.
– L’expression différentielle des gènes de développement : les gènes de développement, qu’on appelle aussi gènes architectes, sont impliqués dans la mise en place du plan d’organisation caractéristique des espèces. Ils vont pouvoir, selon leur capacité à s’exprimer plus ou moins longtemps ou de façon plus ou moins intense, donner des formes différentes à différents individus. Plus précisément, on peut prendre l’exemple du gène BMP 4, impliqué dans la mise en place du bec chez les oiseaux. Selon la chronologie, la durée et l’intensité avec laquelle il s’exprime, ce gène va permettre de produire beaucoup ou au contraire, peu de protéines BMP 4. Il a ainsi une influence sur la forme et la taille du bec des oiseaux.
Autrement dit, quand les gènes du développement s’expriment, ils sont combinés les uns aux autres cela participe à la formation du plan d’organisation de l’espèce. Un gène qui s’exprimera de façon plus intense pourra donner naissance à un organe ou à une partie du corps développée différemment d’un gène qui s’exprimera de façon moins intense. C’est un facteur d’évolution puisque des espèces proches peuvent avoir l’expression d’un gène du développement différentes entre elles. On dit aussi que les gènes du développement sont présents de façon quasi identique chez différentes espèces et que les différences entre espèces s’exprimeraient non pas par l’existence de gènes particuliers aux espèces, mais par l’expression différentielle de ces gènes. Cela veut dire qu’avec les mêmes outils (les gènes du développement), on peut former différents individus et même différentes espèces en utilisant différemment ces outils.
B. Mécanismes sans modification des génomes
– La symbiose : association durable et étroite entre deux individus, en général d’espèces différentes, dont les individus tirent parti. Autrement dit, dans une symbiose chaque individu trouve un bénéfice. Il existe des symbioses entre certains champignons et certains végétaux, qui s’associent étroitement au niveau du sol ce qui permet à chacun d’en tirer un bénéfice. Il s’agit des mycorhizes, dans lesquels il y a une association de filaments mycélium (filaments de champignons) et de racines d’un arbre, par exemple, ou d’une plante verte. Cette association au niveau du sol permet à la plante d’avoir un meilleur approvisionnement en eau et en sels minéraux. Si cette plante est mieux approvisionnée, elle va réaliser de façon plus efficace la photosynthèse. Le champignon n’est pas un végétal et n’est donc pas capable de réaliser la photosynthèse. En revanche, il va tirer bénéfice de la photosynthèse de la plante à laquelle il est associé en récupérant une partie de la matière organique produite. Dans la symbiose mycorhizienne, il y a donc avantage pour le champignon, puisqu’il récupère de la matière organique, et avantage pour le végétal puisque grâce aux filaments mycéliens, il augmente sa zone d’absorption d’eau et de sels minéraux. C’est un bénéfice réciproque et on peut parler d’une symbiose. Cette association permet par exemple à des individus de coloniser de nouveaux milieux qu’ils n’auraient pas colonisés seuls. Il n’y a pas de nouvelle espèce mais une espèce de super individus qui possède des propriétés nouvelles.
– Les apprentissages et les transmissions culturelles : lorsqu’un individu grandit dans une population, il est influencé par cette population dans ses apprentissages. Il existe des caractéristiques codées génétiquement (on dit qu’elles sont innées) et des caractéristiques acquises en fonction du milieu dans lequel l’individu grandit. Ces apprentissages et ces transmissions culturelles concernent les animaux et en particulier les vertébrés et les insectes. On sait que si l’on déplace un individu au cours de sa croissance, il pourra avoir des apprentissages différents en fonction du milieu et donc des individus qui l’entourent. Autrement dit, les interactions que nous entretenons avec les individus qui nous entourent au cours de notre croissance, ont une influence sur les capacités que nous développons. Chez l’humain, c’est particulièrement sensible puisque, par exemple, la langue mais aussi les gestes que nous apprenons dépendent complètement de ce que notre entourage nous inculque au cours de notre croissance. L’apprentissage et les transmissions culturelles sont donc un mode de diversification du vivant puisque en prenant deux individus de la même espèce au départ et en les plaçant dans deux milieux différents, on peut obtenir deux individus au comportement totalement différent lorsqu’ils seront adultes.
Diversification du vivant sans modification du génome
Le génome est l’ensemble des gènes au sein d’une espèce. Si on observe les individus au sein d’une espèce, on constate une grande diversité. On constate aussi une biodiversité entre les espèces. Comment des processus non génétiques peuvent expliquer cette diversification du vivant ?
I. Diversification par le biais des microbiotes
Au sein de l’espèce humaine, les individus diffèrent non seulement génotypiquement ou par le biais de leur alimentation, mais aussi par le biais de la présence de microorganismes (bactéries à la surface de la peau, au niveau de la bouche, de l’appareil uro-génital et au niveau intestinal). Ainsi, on a pu classer trois entérotypes majeurs qui pourraient expliquer des phénomènes d’obésité voire même des comportements. Le microbiote intestinal est ainsi un exemple de diversification du vivant sans modification du génome : nous sommes ce que nous sommes grâce ou à cause de nos bactéries. On considère qu’il y a 2 kg de bactéries par organisme. Finalement, notre espèce représente 23 000 gènes mais les bactéries de notre intestin portent jusqu’à 600 000 gènes différents : les proportions sont bien plus importantes en intégrant le microbiote intestinal par rapport au génome global humain.
II. Diversification par l’épigénétique
Les facteurs environnementaux jouent sur l’expression de gènes : bien que nous ayons 23 000 gènes, ceux-ci ne vont pas toujours s’exprimer. Cette expression dépend des lignées cellulaires et de l’environnement qui peut exercer une action directe sur l’expression des gènes, on parle d’épigénétisme. Par exemple, la méthylation est permise par une méthylase qui serait sous l’influence de l’environnement. Méthyler un gène c’est induire l’extinction de son expression (il ne s’exprime plus).
La chaire d’épigénétisme et de mémoire cellulaire existe au Collège de France seulement depuis 2012, ces notions sont relativement récentes.
III. Diversification par la transmission culturelle
Frans de Waal a écrit des ouvrages et posé la notion de culture chez les espèces animales. Il explique ce qu’est la culture : « des savoirs et des habitudes acquis auprès des autres et souvent auprès des aînés ».
Nous allons développer des exemples pour montrer l’importance des réseaux sociaux au sein des sociétés animales pour transmettre un savoir, une culture ; l’importance des femelles (ce sont souvent elles qui vont transmettre des habitudes, des techniques dans les soin qu’elles donnent aux petits) ; et enfin l’importance de l’âge. Frans de Waal dit en effet « souvent des aînés » : les femelles aînées sont plus expérimentées et vont pouvoir transmettre des innovations.
Exemple 1 : les macaques japonais
On a constaté dans les années 1960 que ces macaques prenaient des bains dans des onsens. Les onsens sont des bains chauds dans lesquels les hommes viennent se baigner. Prendre un bain chaud a la vertu de diminuer le stress. Des scientifiques ont vu des macaques mimer des hommes et aujourd’hui ils en prennent très souvent : cela a un effet aussi relaxant pour cette espèce. Seuls les macaques qui sont proches des onsens au Japon ont acquis cette innovation comportementale qui leur apporte du bien-être. Le stress est un facteur qui peut être négatif d’un point de vue espérance de vie, même si les macaques ne vont pas vivre plus longtemps parce qu’ils prennent des bains. Toujours est-il que cette innovation est transmise d’une génération à l’autre et apporte un avantage, peut-être pas adaptatif, mais montre une évolution positive.
Exemple 2 : utilisation d’outils par les chimpanzés
Dans la forêt de Taï en Côte d’Ivoire, les chimpanzés et les femelles en particulier utilisent des morceaux de bois très fins et pointus pour rentrer dans la termitière ou fourmilière, ce qui leur permet d’y récupérer leurs mets de prédilection (fourmis ou termites). Quand la baguette est un peu abimée, ils vont essayer de la rendre plus fine avec leurs dents.
En république démocratique du Congo, où l’on trouve aussi des chimpanzés qui mangent des termites et des fourmis, ils utilisent également un outil, plutôt un petit bâton assez effiloché, mais cette fois pour nettoyer l’entrée de la termitière ou fourmilière afin d’augmenter le diamètre dans lequel ils vont rentrer leur bâton et récupérer davantage de fourmis ou termites. C’est une autre façon, une autre technique d’alimentation.
Ce sont donc deux populations qui ne sont pas dans la même zone géographique, qui n’ont pas la même culture (une culture qu’ils ont transmise au sein de leur population). C’est donc un exemple de culture chez les singes.
Exemple 3 : les mouettes de Tinbergen
Nikolaas Tinbergen a observé deux espèces de mouettes : les rieuses (à gauche) et les tridactyles (à droite). Il a constaté que chez les mouettes rieuses, une fois les petits éclos, les adultes jetaient très loin les débris de coquilles. Or les œufs des mouettes rieuses sont tachetés lorsqu’ils sont pleins, et l’intérieur très clair est visible une fois l’œuf éclos. L’hypothèse de Tinbergen était qu’une fois les petits éclos les adultes jetaient les débris pour éviter d’attirer les prédateurs. En revanche, chez les mouettes tridactyles qui ont des nids en hauteur dans les rochers où il y a peu de prédateurs, une fois les petits éclos, les parents rejettent peu les débris de coquilles, ne les retirant que pour confort sans les jeter très loin.
Son hypothèse était que le comportement des mouettes est sélectionné par la présence de prédateurs. Il a donc fait une expérience : il a mis près des mouettes rieuses des œufs foncés et des œufs clairs et observé le comportement des prédateurs. Il a constaté que les prédateurs mangeaient préférentiellement les œufs clairs sans trop s’intéresser aux œufs foncés (ils ne les mangeaient pas). Il a ainsi pu valider son hypothèse : les mouettes rieuses ont ce comportement de rejeter très loin les débris coquillés pour éviter que les prédateurs ne viennent manger les petits. C’est un exemple de transmission culturelle : la mouette rieuse, d’une génération à l’autre, apprend à jeter les débris coquillés loin pour éviter que les petits ne soient mangés.
Exemple 4 : les femelles orangs-outans de Sumatra
Cet apprentissage dure plusieurs années chez certaines espèces. À Sumatra, les femelles orangs-outans restent avec leur petit 6 à 8 ans pour leur apprendre quelle plante manger, avec quelle plante se soigner. Si on retire la mère d’un petit avant qu’il n’atteigne les 6 ans, ce petit est voué à mourir puisqu’il n’aura pas appris toute la culture qui lui permettra tout seul d’évoluer dans un milieu relativement hostile, si on considère les forêts équatoriales qui se développent sur l’île de Sumatra.