La frontière germano-polonaise de 1939 à 1990, entre guerre et diplomatie
Reconnaître la frontière : le cas germano-polonais
Au-delà du simple tracé des frontières, pour que ces dernières existent réellement, elles doivent être reconnues par les autres États. À cet égard, le cas de la frontière germano-polonaise au XXe siècle est un cas d’école.
Rappel
Le royaume de Pologne a été créé au XIe siècle. Au cours du XVIIIe siècle, il a connu plusieurs amputations. Il a été victime des grandes guerres entre empires et monarchies et il a été dépecé à trois reprises. Au XIXe siècle, la Pologne en tant qu’État cesse d’exister : elle est partagée entre la Prusse (qui devient ensuite l’Allemagne), la Russie, et l’empire d’Autriche (qui devient dans la seconde moitié du XIXe siècle l’Autriche-Hongrie). La Pologne a donc été découpée et partagée entre ces puissances.
Après la Première Guerre mondiale, en 1919, les rédacteurs du traité de Versailles, au nom du principe des nationalités, reconstituent une Pologne. Dès cette époque, la reconstitution de la Pologne dans ses nouvelles frontières pose problème. En effet, à l’ouest, elle a été reconstituée au détriment de l’Allemagne qui se retrouve réduite et coupée en plusieurs ensembles par la Pologne. Par ailleurs, sa frontière à l’est, qui était sensée être délimitée ultérieurement suivant la proposition de Lord Curzon, a laissé en suspens un problème géopolitique majeur qui a empoisonné les relations internationales dans l’entre-deux guerres et qui a eu des conséquences pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, jusque dans les années 1990. C’est donc un problème de reconnaissance frontalière inscrit dans le temps.
I. Une frontière contestée et violée en 1939
La frontière germano-polonaise, telle qu’elle a été fixée après le traité de Versailles, a été contestée par l’Allemagne et violée en 1939 par le Reich hitlérien.
Après la Première Guerre mondiale, un État polonais a été recréé. Le territoire de ce nouvel État polonais se trouvait en partie sur d’anciens territoires allemands, séparant ainsi la Prusse orientale du reste de l’Allemagne. Cette configuration donnait à la Pologne un accès à la mer sous la forme d’un corridor terrestre débouchant sur la mer Baltique. L’Allemagne a ainsi perdu plusieurs territoires :
– la Posnanie,
– une partie de la Prusse occidentale,
– la ville de Dantzig qui a été déclarée ville internationale sous mandat de la Société des Nations (dans le but d’éviter un conflit immédiat),
– la Haute-Silésie, rattachée à la Pologne par référendum en 1921.
L’Allemagne a ainsi été amputée de territoires à l’est et n’a jamais reconnu ces nouvelles frontières. Ce découpage frontalier a également nourri la volonté révisionniste du traité de Versailles, surnommé par la population allemande, le Diktat.
À l’est de la Pologne, le ministre des Affaires étrangères britannique, Lord Curzon, avait proposé un découpage qui n’a pas été appliqué immédiatement après la guerre. Or, la Pologne est alors très rapidement entrée en guerre avec la Russie bolchévique et a conquis des territoires à l’est de la ligne Curzon. En 1921, cette guerre débouche sur la paix de Riga, qui étendait la Pologne jusqu’à une ligne qui va à peu près de Vilnius (actuelle Lituanie) à Lviv (actuelle Ukraine). Une grande Pologne s’est donc reconstituée, au détriment de ses voisins allemands et russes.
Ainsi, à la fin des années 1930, quand Hitler lance sa politique d’expansion territoriale sur la mitteleuropa, le problème de la frontière entre l’Allemagne et la Pologne revient sur le devant de la scène.
Après avoir remilitarisé la rive gauche du Rhin, s’être emparé de l’Autriche dans le cadre de l’Anschluss, annexé les Sudètes en Tchécoslovaquie et l’ensemble de la Bohème-Moravie autour de Prague, Hitler revendique la ville libre de Dantzig en 1939, alors peuplée à 95 % d’allemands. Parallèlement à cette revendication, Hitler entame des négociations secrètes avec l’URSS de Staline pour préparer un plan d’invasion de la Pologne, déclenché début septembre 1939, après la signature du pacte Ribbentrop-Molotov (pacte germano-soviétique). Ce pacte établissait le partage de la Pologne et un accord de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS. C’est ainsi que, dès septembre 1939, les troupes allemandes de la Wehrmacht et les troupes soviétiques de l’armée rouge ont déferlé sur la Pologne et l’ont annexée.
II. Une frontière recréée en 1945 à Yalta et Potsdam
Au cours du conflit, Staline s’est progressivement retrouvé en position de force, après sa rupture d’alliance avec l’Allemagne en juin 1941. Les deux puissances s’affrontent alors dans une guerre terrible (il y eut environ 20 millions de morts du côté soviétique).
En 1943, alors que l’issue de la guerre commence à se dessiner et que l’Allemagne nazie accumule les défaites, Staline devient très gourmand. À Téhéran, en 1943, il revendique la Pologne et la création d’un nouvel État polonais en le déplaçant vers l’ouest. La nouvelle Pologne est limitée à l’ouest par les fleuves Oder et Neisse. Les Alliés se retrouvent alors contraints de céder à l’URSS tout un ensemble de territoires dans l’est de l’ancienne Pologne et donc, par là même, de décaler à l’est la frontière polonaise vers la ligne Curzon, définie en 1920. C’est ainsi qu’à été recréée la Pologne à Yalta et Potsdam en 1945.
La Pologne était donc plus resserrée et surtout plus homogène ethniquement. Un grand nombre de populations de langue germanique, qui vivaient jadis en Pologne, ont été expulsées vers l’Allemagne. Sept millions de germanophones ont été expulsés dans le but de donner à la Pologne une unité ethnique, linguistique et religieuse (autour du catholicisme). La question de la spoliation de leurs biens est restée un enjeu fondamental pendant la Guerre froide dans les négociations entre la RFA (Allemagne de l’Ouest) et la Pologne (qui faisait partie du bloc de l’Est).
En 1946, alors que Staline commence à soviétiser les pays d’Europe de l’Est, dont la Pologne, et qu’il ferme la frontière germano-polonaise, Churchill énonce le premier qu’un « rideau de fer » s’est abattu de Stettin (sur la Baltique, en zone polonaise) à Trieste (en Yougoslavie, sur l’Adriatique). Il prononce ces mots dans un célèbre discours à Fulton (université du Missouri). La Pologne est alors rattachée au groupe des « démocraties populaires » qui adoptent une constitution calquée sur le modèle soviétique, qui planifient et collectivisent leur économie, et qui rentrent, les unes après les autres, dans l’organisation politico-militaire du pacte de Varsovie, créée en 1955. Le siège de cette organisation se trouve en Pologne, à Varsovie.
La frontière occidentale de la Pologne est donc fermée. Mais la situation géopolitique très tendue pendant la Guerre froide entre les deux blocs, n’a pas empêché, paradoxalement, la frontière de se stabiliser.
III. Une frontière stabilisée durant la Guerre froide (jusqu’en 1990)
En 1950, Staline demande à tous les pays du bloc de l’Est de reconnaître leurs frontières mutuelles. Il obtient alors la signature du traité de Görlitz en 1950. Dans ce traité, la Pologne et la RDA (Allemagne de l’Est) reconnaissent leurs frontières mutuelles. C’est la première fois qu’il y a reconnaissance de la frontière entre l’Allemagne et la Pologne par les deux États.
La RFA reconnaît cette frontière à son tour grâce à la politique de l’Est (Ostpolitik) menée par le chancelier Willy Brandt à la fin des années 1960, qui permet la signature du traité de Varsovie en 1970 et la reconnaissance mutuelle entre la RFA, la RDA et la Pologne. Ce traité sert de prélude à la grande conférence de 1975 sur la sécurité et la coopération en Europe à Helsinki. Au terme de cette conférence, voulue par les Soviétiques et associant les deux blocs d’Europe, l’ensemble des frontières issues de la Seconde Guerre mondiale sont reconnues (les accords conclus jusqu’alors, y compris à Yalta et à Potsdam, n’étaient que temporaires). L’année 1975 est donc un moment important pour la reconnaissance et la stabilisation des frontières en Europe, y compris la frontière germano-polonaise.
Cependant, cette frontière est restée fermée jusqu’à la fin de la Guerre froide, et notamment parce qu’à partir de la fin des années 1970 une importante contestation sociale émanant des milieux ouvriers s’est déclenchée à Dantzig autour du syndicat Solidarność et des ouvriers des chantiers navals de la ville. Cela a contribué à fermer la frontière et à imposer un état d’exception (loi martiale, contrôle des populations, du territoire et des frontières). Une chape de plomb est donc tombée sur la Pologne de l’époque, dirigée par le général Jaruzelski, jusqu’à la fin des années 1980. Cette chape de plomb s’effondre en 1989, alors que le général Jaruzelski, président de la République populaire de Pologne, accepte la tenue d’élections libres et de coopérer avec le premier gouvernement non-communiste dirigé par Mazowiecki. Ce gouvernement décide alors de la réouverture de la frontière.
Par la suite, le mur de Berlin s’effondre et les deux Allemagnes se réunissent. L’Allemagne réunifiée négocie alors à nouveau ses frontières avec la Pologne sur la ligne Oder-Neisse.
Conclusion
En acceptant et en reconnaissant définitivement cette frontière, le problème frontalier entre l’Allemagne et la Pologne et l’ensemble des litiges qui existaient sur cette frontière depuis le XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle ont été résolus.