La liberté - Partie 1
La notion de liberté à deux sens. Il s’agit d’abord de la liberté d’action. Elle est définie négativement comme une absence d’obstacles. Ici, être libre signifie ne pas être empêché relativement à ce que l’on veut et à ce que l’on peut faire.
I. Liberté et puissance
Pour étayer cette première définition de la liberté comme absence d’obstacles, la référence utile est Hobbes et son ouvrage majeur le Léviathan (II, 24). La liberté y est définie comme une absence d’opposition. Et Hobbes souligne bien que cette définition s’applique tout aussi bien aux créatures inanimées et aux êtres non raisonnables qu’à l’Homme.
Si l’on s’intéresse à l’Homme, Hobbes dit que la liberté est le fait relativement à ce que l’Homme peut faire de ne pas être empêché. C’est relativement à ce que sa force et son intelligence lui permettent de faire et de ne pas être empêché relativement à ce qu’il veut faire.
Cette définition est intéressante car elle permet de faire la distinction entre la liberté et la puissance. Être libre n’est pas faire tout ce que l’on veut. Par exemple, si je ne peux pas courir à 100km/h, c’est moins un défaut de liberté qu’un défaut de puissance. On comprend donc que la liberté n’est pas faire tout ce que l’on veut, mais de ne pas être empêché de faire ce que l’on peut faire.
II. La liberté et la loi
Mais à partir de cette définition, où l’Homme est-il le plus libre ? On pourrait avoir le sentiment que l’Homme pourrait se sentir le plus libre dans l’état de nature. C’est-à-dire dans un état où il n’y a pas de loi, pas de sanction. En effet, spontanément, on envisage la loi comme quelque chose qui limite la liberté.
Hobbes pose cette question et fait la distinction entre l’état de nature et l’état civil. Il confirme qu’à l’état de nature, j’ai un droit illimité sur toutes choses. Il n’y a pas de loi, pas de justice, je peux tout obtenir par la force. Mais à l’état de nature, si j’ai un droit naturel sur toute chose, je suis exposé aussi à subir ce que l’autre cherche à avoir et dont il a envie. Donc à l’état de nature, je suis constamment menacé.
Hobbes dit qu’au contraire, à l’état civil, il y a des lois de la vie en communauté. Certes, ces lois viennent limiter ma liberté, mais ces lois viennent, si elles sont justes, limiter la liberté d’autrui. Si une loi m’empêche de rouler à 170km/h sur une autoroute, cette même loi va empêcher les autres de le faire aussi.
Autrement dit, dit Hobbes, la loi me garantit une forme de sécurité. Or, la sécurité est une garantie de la liberté. Si je peux aller et venir tranquillement dans la rue, c’est bien parce que des lois me protègent.
La loi me fait perdre en liberté ce qu’elle me fait gagner en sécurité, mais la sécurité est une condition de la liberté donc il n’y a de liberté qu’à travers la loi. Il ne faut jamais voir dans la loi quelque chose qui viendrait, par principe, entraver ma liberté. Au contraire, c’est quelque chose qui la rend possible.
Si on voulait généraliser, il faut se détacher de l’idée que l’on serait plus libre dans la nature que dans la société, parce qu’au-delà de la sécurité, la société m’apporte des infrastructures – routes, moyens de communications, hôpitaux, biens de subsistance – qui me permettent de me détacher de la nature. Ce n’est que dans la société que l’homme est libre. L’homme est libre collectivement. L’homme n’est libre que s’il s’associe à d’autres.
III. Liberté positive, liberté négative
La question qui se pose alors est de savoir quelle société permet à l’homme d’être libre et quel type de loi permet d’être libre.
Dans une dictature, je n’ai qu’une liberté négative : je ne suis pas empêché de faire ce que la loi me permet de faire mais c’est une liberté définie simplement par cela. En démocratie au contraire, j’ai une liberté positive car outre le fait de ne pas être entravé par rapport à ce que la loi autorise, j’ai une capacité d’agir, une capacité d’entreprendre une action, dans le sens où je vais participer à la vie publique, parfois je vais participer à l’élaboration de la loi, etc. Donc tout dépend de la nature du régime politique et du type de loi en place.
C’est ce qui pousse un philosophe comme Benjamin Constant à faire la distinction entre la liberté des anciens, comme les Grecs, et la liberté des modernes. La liberté des anciens est une liberté positive, au sens où la liberté pour un Grec antique était de participer à la vie politique, la sphère privée n’existait pas vraiment. La liberté des modernes, dit Benjamin Constant, est différente car il s’agit d’abord de ne pas être entravé, au sens où dans une société libérale, l’État va ménager à chacun une sphère de liberté, où l’individu peut penser et faire ce qu’il veut à condition qu’il ne nuise pas à la liberté d’autrui.
La liberté - Partie 2
Ici, on va parler de la liberté comme liberté intérieure. Cette liberté intérieure est une propriété de volonté. C’est la liberté de vouloir, et plus précisément comme la spontanéité de la volonté. Être libre au sens de la liberté intérieure, c’est ne pas être déterminé. La grande question autour de la liberté intérieure est de savoir si l’Homme est libre ou bien s’il est déterminé. Existe-t-il une spontanéité de la volonté ?
I. La liberté existe
La première réponse à envisager, l’opinion commune, est que la liberté existe.
Pour justifier cette position, le premier argument est que la liberté, avant d’être quelque chose qui se prouve est quelque chose qui s’éprouve. Autrement dit, j’ai le sentiment d’être libre : c’est quelque chose que je ressens. Je vois bien qu’il y a une différence entre le fait de lever le bras volontairement et le fait d’avoir le bras levé par quelqu’un d’autre. On n’est pas ici dans un raisonnement, on ne démontre rien, néanmoins c’est un argument d’expérience.
Le deuxième argument est le lien entre liberté et valeur. Ce qui confère de la valeur à mes actes, c’est le fait qu’ils sont faits librement. On peut utiliser ici une citation de Beaumarchais, qui nous dit : « Il n’est pas d’éloge flatteur sans la liberté de blâmer ». En effet, si on vous fait un compliment qui vous touche, c’est bien parce que la personne qui vous le fait aurait pu ne pas le faire. Il y a donc bien un lien très fort entre liberté et valeur.
On peut aller encore plus loin en disant que c’est la liberté de mes actions qui fait que je suis responsable. Si quand j’agis, je suis déterminé à agir alors je ne suis pas forcément responsable de ce que j’ai fait. Donc à partir du moment où mes actes ont de la valeur et qu’ils engagent ma responsabilité, c’est bien qu’on suppose qu’ils sont libres.
Le troisième argument est un argument mobilisé par Emmanuel Kant. Il dit que ce qui prouve la liberté est la loi morale que je constate en moi. Si, dans une situation donnée, je constate en moi un devoir, ça veut bien dire que je suis libre. En effet, un ordre n’a de sens que si je peux lui obéir. Si donc dans une situation, j’ai une loi en moi que me dit « tu dois faire ça », cela veut bien dire que je peux le faire. C’est un « je dois » qui révèle un « je peux ». Donc, selon Kant, la liberté pour être prouvée suppose qu’on en passe par le constat de la moralité en l’Homme.
Ces trois arguments permettent donc de prouver que la liberté existe. Simplement, on ne peut pas s’en tenir à cette position.
II. Le déterminisme
Cette liberté n’est peut-être qu’une illusion. Cette illusion peut reposer sur l’ignorance des causes qui en réalité viennent nous déterminer inconsciemment. On étudie le déterminisme avec le philosophe Spinoza. Il dit que le libre-arbitre est une illusion qui repose sur l’ignorance des causes qui le déterminent. Quelles peuvent être ces causes qui nous déterminent ?
Il y a tout d’abord ce qu’on pourrait appeler un déterminisme psychologique. Ici, on peut utiliser la référence de Freud et de l’inconscient. Freud explique que l’enfance et l’histoire personnelle peuvent nous déterminer sans qu’on s’en aperçoive à l’âge adulte. Nos choix, nos actions à l’âge adulte peuvent être le reflet et l’effet de ce qui s’est passé dans notre enfance.
Un autre déterminisme que l’on peut envisager est le déterminisme génétique. Les recherches scientifiques tendent à montrer qu’il y a des prédispositions génétiques, par exemple à l’addiction. Il ne s’agit pas d’un prédéterminisme strict puisque ce sont des prédispositions mais on est plus apte à devenir quelqu’un en fonction de notre héritage génétique.
Enfin, dernier exemple : le déterminisme social. Cela renvoie à Bourdieu et ses travaux sur l’école. Pierre Bourdieu montre que le système scolaire républicain, créé pour casser la reproduction sociale de l’Ancien Régime où l’origine sociale déterminait la position sociale, en réalité, maintient ce lien entre origine et position sociale.
L’idée du système scolaire républicain est qu’il ne doit pas y avoir de lien entre la réussite scolaire et l’origine sociale. Et donc, il ne doit pas y avoir de lien entre l’origine et la position sociale puisque cette position doit simplement dépendre de la réussite scolaire. Bourdieu montre qu’en réalité ce lien se maintient.
Il dit que le plus grave est que l’école, à travers la notion de mérite, masque le fait de l’influence de l’origine sociale sur la réussite scolaire, et donc sur la position sociale ensuite. L’école, à travers la notion de mérite, va légitimer la reproduction sociale. Il y a donc une influence de notre origine sociale à travers le capital économique, le capital culturel et le capital social, sur notre réussite scolaire et donc sur notre position sociale.
Ainsi, on constate qu’il y a des choses qui nous influencent, plus ou moins consciemment, ce qui remet en cause l’existence de la liberté. Si l’on s’en tient à cette idée, l’Homme perd sa responsabilité, et la morale disparaît.
III. Liberté et déterminisme
Il faut donc voir s’il n’y a pas moyen de concilier liberté et déterminisme. Il y a une thèse très intéressante, une sorte de troisième voie. La liberté est l’intelligence de la nécessité. Cela veut dire que l’homme n’est libre que s’il prend conscience de ses déterminismes : c’est en prenant conscience de ses déterminismes que l’Homme va s’en libérer.
L’Homme est déterminé par des facteurs familiaux, culturels, sociaux, etc. Mais en faisant un travail qui vise à les connaître, à avoir l’intelligence de ces facteurs, l’Homme peut ensuite s’en émanciper. C’est le cas particulièrement avec Freud : en travaillant à prendre conscience des pulsions refoulées qui sont l’effet d’une histoire vécue, je vais pouvoir m’en libérer et me libérer des pathologies qu’elles engendrent.
La vraie question n’est donc pas de savoir si l’Homme est radicalement libre ou radicalement déterminé, il s’agit de voir que l’Homme peut être libre en comprenant qu’il ne l’est pas à l’origine.