La puissance des États-Unis dans le monde
En 1998, Madeleine Albright, à l’époque secrétaire d’État du président Clinton, se justifiait des frappes aériennes en Irak (non validées par le Conseil de sécurité de l’ONU) en déclarant : « nous sommes la nation indispensable ». Elle demandait ainsi aux autres pays d’accorder leur confiance aux États-Unis sous prétexte que ces derniers se projetaient dans l’avenir et disposaient d’un rôle particulier dans l’Histoire.
Cette attitude révèle d’une tendance à l’unilatéralisme (mener une politique étrangère sans concertation avec les autres pays), déjà présente à l’époque de Clinton. Les États-Unis prétendent en effet remplir une mission mondiale au service de la démocratie, de la liberté. Cette mission engendre des questions sur la puissance des États-Unis dans le monde : exercent-ils une puissance de type leadership qui obligerait les autres pays à adhérer à la suprématie américaine ? S’agit-il, au contraire, d’une hégémonie avec la capacité d’imposer leur vision des relations internationales, de la politique extérieure ? S’agit-il d’un empire capable d’influencer la politique mondiale par des ingérences, voire de contrôler des territoires ?
I. Lieux et formes de la puissance américaine
Comme l’exprimait Z. Brezinski, historien et géopolitologue polonais, les États-Unis n’ont aucun rivaux, ce qui les élève au rang de puissance globale complète, dans les quatre domaines clés : économique, technologique, culturel ainsi que diplomatique et militaire.
– Secteurs économique : les États-Unis conservent le premier PIB mondial, alors qu’ils représentent 4,5 % de la population mondiale : ils réalisent environ 22-23 % du PIB mondial. Il reste donc à un niveau d’un tiers supérieur à celui de la Chine, et de 25 % supérieur à celui de l’ensemble de l’UE.
– Secteur technologique : le MIT (Massachusetts Institute of Technology), basé dans le Massachusetts, est l’un des clusters (ensemble de laboratoires, centres de recherche) qui possède un leadership mondial sur les sciences et les technologies. Depuis les débuts du XXe siècle, ce centre de recherche a accumulé plus de 70 prix Nobel. il représente ainsi l’un des pôles d’excellence qui contribue au soft power des États-Unis. Plus de 10 000 étudiants et plus d’un millier de professeurs y travaillent en permanence.
– Secteur culturel : les États-Unis ont une suprématie cinématographique, notamment grâce à Hollywood. Ainsi, ils dominent grandement le marché cinématographique mondial, en réalisant environ 58 % des investissements annuels mondiaux. De plus, ils maitrisent 63 % des parts de marché mondiales. Ils sont capables, particulièrement à Los Angeles, de produire annuellement un peu plus de 750 films qu’ils diffusent à l’échelle mondiale, ce qui permet de diffuser l’image de l’American way of life.
– Secteurs diplomatique et militaire : les États-Unis imposent leur vision dans le monde par la persuasion à travers le dialogue, mais également par la force. Le siège de l’ONU est un lieu symbolique puisqu’il a été installé à New York après la Seconde Guerre mondiale, ce qui montre le basculement de l’épicentre de la géopolitique mondiale de l’Europe vers les États-Unis. En effet, la Société des Nations (SDN), se trouvait à Genève puis a été remplacée en 1945 par l’ONU qui réunit désormais l’ensemble des États de la planète pour décider de son destin, maintenir la paix et construire la sécurité collective.
La diplomatie américaine dispose du plus grand réseau d’ambassades et de consulats et met ses moyens au service d’une diplomatie (notamment du dollar) à travers le commerce, les investissements et l’aide au développement. Les Américains possèdent l’armée la plus puissante (plus de 2 millions de fonctionnaires au Pentagone), la plus riche, disposant des meilleurs équipements technologiques. Les États-Unis se positionnent en première place avec environ 40 % de dépenses militaires mondiales (entre 700 et 750 milliards de dollars annuels). De plus, il faut ajouter à cela les dépenses de l’OTAN dans sa totalité, c’est-à-dire 70 % des dépenses militaires mondiales qui sont au service de la puissance américaine.
II. Les points d’appui et zones d’influence dans un monde multipolaire
Les États-Unis disposent d’une flotte de guerre et ainsi d’une capacité de projection de force unique au monde que l’on peut résumer par la présence de 11 porte-avions américains et 700 bases militaires américaines réparties dans le monde entier. Il s’agit en particulier de bases navales, comprenant 6 flottes de guerre, réparties dans le Pacifique où les États-Unis disposent de la 3e et de la 7e flotte quadrillant tout l’Océan du nord au sud. Il existe aussi des bases américaines dans l’Océan Indien et dans le golfe d’Aden (qui permet de contrôler la partie occidentale de l’Océan Indien), une flotte dans la Méditerranée et deux flottes dans l’Atlantique. Cela est parfois représenté comme des points de territorialisation à une époque où les grandes puissances n’ont plus de colonies mais disposent de points forts, militaires au caractère extraterritorial. Ces points d’appui permettent une projection de force dans l’ensemble du monde.
Les États-Unis comptent également sur un grand nombre d’alliés. L’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), avec ses 29 pays membres dont 27 pays d’Europe, permet de faire face à l’influence russe et aux autres menaces pesant sur l’Europe. Il s’agit également d’alliances bilatérales, par exemple en Asie avec le Japon, la Corée du Sud, les Philippines. En Océanie avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, des alliés très proches. En Afrique, avec le Maroc, l’Égypte, la Tanzanie, le Kenya. Avec de grandes puissances territoriales, démographiques et politiques comme le Brésil, l’Argentine ou la Colombie en Amérique latine. Ainsi, les États-Unis sont représentés et soutenus à l’échelle mondiale ce qui leur permet de développer, par le biais de la NSA (National Security Agency) un grand système d’écoute (système Echelon) qui repose sur leurs alliances diplomatiques, militaires (notamment le Royaume-Uni ou l’Australie).
Ces points d’appui doivent être mis en perspective avec l’influence économique et culturelle des États-Unis par l’existence de plusieurs relais, essentiellement de soft power. On peut mentionner ce qu’on appelle parfois « l’Amérique bis » : l’ensemble des firmes transnationales américaines (FTN) qui investissent dans le monde, ce qui amène à diffuser leur produits, leur culture, leurs activités, etc. Ces FTN représentent environ un tiers des 500 plus grandes du monde et les Américains se situent à la tête d’environ 25 % du stock mondial d’investissements directs étrangers. Que ce soit dans l’ancienne économie avec des entreprises comme Ford et General Electric ou dans la nouvelle économie avec les GAFA, les États-Unis sont présents économiquement partout dans le monde. Ces relais d’influence leur permettent de posséder une puissance, non seulement globale, mais aussi mondiale.
L’idée d’un monde multipolaire sous-entend qu’il peut exister des contre-pouvoirs s’opposant à l’influence américaine. En particulier les puissances dites « révisionnistes », regroupées dans l’organisation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). « Révisionnistes » car elles remettent en cause le nouvel ordre mondial américain, la Pax Americana, imposée par les États-Unis, et plus généralement la domination occidentale. Au-delà des BRICS, l’Organisation de la coopération de Shangai (OCS), constituée en 2001, déploie des coopérations militaires, énergétiques et économiques et pourrait, en s’étendant à plus de pays eurasiatiques et en se dotant de capacités militaires, devenir une forme « d’anti-OTAN ». L’OCS se situe dans une idéologie de rejet des valeurs occidentales et de remise en cause de l’ordre mondial.
III. Une puissance entre multilatéralisme et unilatéralisme
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont voulu rompre avec leur isolationnisme historique (propension à s’intéresser surtout à leur territoire et peu au reste du monde qui existait depuis le XIXe siècle). Ils se sont alors faits les tenants du multilatéralisme à l’époque de Roosevelt puis de Truman. Pour cela, ils ont mis en place des organisations multilatérales internationales, en particulier dans le cadre de l’ONU, pour des missions diplomatiques et économiques comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les accords GATT qui deviennent l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce) dans les années 1990. Ce multilatéralisme était intéressé dans la mesure où il permettait de défendre les intérêts américains dans le monde à l’époque où cette super-puissance cherchait des relais de son influence.
Le multilatéralisme a été largement contrarié pendant la période de la Guerre froide, notamment dans le cadre de l’ONU. En effet, les États-Unis et l’URSS, deux super-puissances, bloquaient les instances, particulièrement le Conseil de sécurité en utilisant leur droit de veto et en s’affrontant par alliés interposés.
À l’issue de la Guerre froide, à la suite de l’effondrement de l’URSS au début des années 1990, le multilatéralisme a eu une nouvelle chance pour s’imposer. À cette époque, la nouvelle Russie renonce à son droit de veto. Pour intervenir une première fois contre l’Irak au Koweït en 1991, les États-Unis avaient obtenu l’accord de l’ONU et la constitution d’une coalition internationale. Les Américains voulaient un nouvel ordre mondial reposant sur un équilibre entre les puissances, un meilleur dialogue multilatéral. Cependant, avant même l’arrivée George W. Bush, les Américains se sont éloignés de ces premiers engagements dès les années 1990, notamment par les interventions de l’OTAN dans la guerre des Balkans (l’intervention au Kosovo en 1999 s’est faite sans l’accord de l’ONU), par la poursuite de la lutte contre le régime de Saddam Hussein (ancien dictateur de l’Irak) et par des frappes en 1998, par le refus de signer le Traité de Rome (qui créa la Cour pénale internationale) à la fin des années 1990, ou encore par le refus de gratifier les accords de Kyoto. Ainsi, dès la décennie 1990, les États-Unis se déliaient des contraintes internationales liées à l’absence de l’URSS devenant une hyperpuissance, et déployant une politique de plus en plus unilatéraliste.
Le 11 septembre 2001 et la décision en 2003 d’intervenir en Irak contre l’avis du Conseil de sécurité de l’ONU représentent un point de rupture. Cela les a amenés à une guerre contre l’Irak, véritable catastrophe sur le plan politique, économique et humain.
À son arrivée à la présidence, Barack Obama, couronné d’un prix Nobel de la Paix, a immédiatement cherché à réintégrer les États-Unis dans une dynamique multilatéraliste. Ainsi, il a signé l’accord de Vienne (sur le nucléaire iranien) en 2015 avec les principaux partenaires des États-Unis. Les efforts d’Obama n’ont pas résisté à l’arrivée de son successeur, Donald Trump, représenté, après sa campagne sur l’America First, comme un néo-isolationniste qui allait se retirer des affaires du monde en suivant uniquement les intérêts des Américains par une politique unilatérale. En réalité, il est plutôt néo-nationaliste : les États-Unis continuent à intervenir dans le monde mais essentiellement afin de défendre leurs intérêts. Par exemple, Trump a déclenché une guerre commerciale contre la Chine et ses principaux partenaires économiques. Il a également décidé du retrait unilatéral du traité de Paris sur le climat, a dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien comme une tromperie, ou encore se retire progressivement des grands accords internationaux comme le traité transpacifique ou le traité transatlantique. Trump revient ainsi à une forme d’unilatéralisme radical, ce qui représente une forme d’atteinte à la puissance américaine. Si les Américains déploient toujours un soft power, ils recourent actuellement davantage à un hard power par la politique de Trump.