Le plan
On revient à la méthode de dissertation et de problématisation. On a déjà fait le travail de problématique, on a déjà identifié et formulé le problème associé à l’énoncé du sujet. L’objectif est de travailler sur le plan.
I. Le plan dérive du problème
Le plan ne peut pas se faire indépendamment de la problématisation du sujet. Il doit bien dériver du problème. Une bonne problématique suggère déjà un plan. La formulation du plan, c’est-à-dire des différentes parties de la dissertation, viendra de soi. Elle suit naturellement et spontanément la formulation du problème.
II. Chaque partie défend une thèse
Chaque partie défend une thèse et doit défendre une thèse par rapport au sujet proposé. C’est l’écueil principal, et même s’il paraît simple, il faut toujours l’avoir à l’esprit : le hors sujet. Il faut donc que chaque partie défende une thèse qui à la fois traite le problème qu’on a identifié en premier lieu, et qui deuxièmement soit une réponse à la question posée. Donc il faut que l’on puisse formuler explicitement la thèse, c’est-à-dire l’idée défendue par chaque partie et expliquer en quoi cette idée répond bien au sujet proposé. Tant qu’on ne peut pas faire ça, il faut se dire qu’on est dans le hors sujet. Donc chaque partie défend bien une thèse.
III. Contradiction et progressivité
Troisième caractéristique de notre plan, et c’est une difficulté qui demande de l’exercice, de la répétition. Il n’y a pas de plan absolument parfait, mais il doit avoir au moins ces deux propriétés. Il doit d’une part être contradictoire, c’est-à-dire que chaque partie doit être en contradiction avec la partie qui précède. On en est à peu près certain à partir du moment où l’on a fait un véritable problème philosophique. Comme on l’a vu, il y a une alternative.
Mais à la fois il doit y avoir une dimension contradictoire entre les parties, et à la fois il faut que les parties s’enchaînent les unes aux autres. C’est-à-dire que du point de vue du raisonnement, il faut qu’on puisse passer d’une partie à une autre partie par un caractère progressif du raisonnement. C’est la raison pour laquelle des transitions sont particulièrement attendues dans le développement de la dissertation. Il faut bien qu’on puisse passer par un raisonnement progressif d’une partie à une autre. C’est une des difficultés les plus grandes dans le développement du plan.
Exemple de plan
On a déjà vu qu’elles devaient être les propriétés du plan. On va voir dans quelle mesure on peut véritablement les mettre en pratique. Le sujet est « Peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ? » La problématique formulée est la suivante : « Faut-il penser que toutes les œuvre d’art expriment quelque chose ou comprendre qu’au contraire la spécificité de l’art réside dans son caractère irréductible à tout discours ? »
On rappelle les caractéristiques d’un bon plan et on verra pour chaque partie que chaque formulation de thèse répond bien aux problèmes, répond bien au sujet, c’est-à-dire la question posée et à la fois a bien un caractère contradictoire d’une partie à l’autre et un caractère progressif.
Partie I
La formulation de la thèse défendue par la première partie est : « On ne peut reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire puisqu’elle ne se manifeste précisément pas sous la forme d’un discours ».
Elle répond au sujet, à la question posée : est-ce qu’on peut oui ou non reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire, et elle répond au problème donné, puisqu’elle reprend les termes du sujet.
Partie II
Deuxième partie : « On peut cependant exiger d’elle qu’elle exprime quelque chose puisqu’on doit pouvoir y contempler une manifestation de l’esprit. » Cette deuxième partie est essentielle.
A la fois, elle répond clairement au sujet, puisqu’on exige qu’elle exprime quelque chose. C’est donc qu’on peut lui reprocher de ne rien vouloir dire. Et, à la fois, elle est en contradiction avec la première partie, elle répond au sujet.
Mais elle découle de cette première partie puisqu’elle est progressivement établie à partir de la première partie qui dit qu’une œuvre d’art ne se manifeste précisément pas sous la forme d’un discours. Elle dérive de cette première partie, elle répond au sujet, elle répond au problème et elle est en contradiction.
Partie III
Une troisième partie formulée ici d’une manière interrogative puisque c’est vraiment l’aboutissement de la réflexion : « On est en droit de se demander pourtant si l’art ne permet pas davantage une expérience sensible que spirituelle. »
Il faut ici préciser en quoi elle répond au sujet. Si l’art rend possible une expérience davantage sensible que spirituelle, on ne peut évidemment plus lui reprocher de ne rien vouloir dire, c’est-à-dire de ne pas renvoyer à l’esprit. C’est d’ailleurs sa spécificité, l’art peut se contenter de faire ou de rendre possible une expérience du corps, ou relative aux sens du corps.
De nouveau, cette troisième partie est en contradiction avec la partie qui précède, puisque la réponse qu’elle formule vis-à-vis du sujet est exactement opposée. Elle reprend certains éléments de la première partie : c’est l’idéal mais ce n’est pas toujours facile. Enfin, elle répond au problème ou elle aboutit sur le problème qu’on s’était donné.
La problématique
L’objectif est de distinguer la problématique en philosophie de la problématique telle qu’on peut la rencontrer dans d’autres disciplines. L’objectif est précisément de voir en quoi c’est autre chose.
I. Ce que n’est pas une problématique
Une problématique en philosophie n’est pas une simple reformulation de la question. On ne peut pas se contenter de reformuler la question et de dire « on traitera le problème suivant : « peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ? » »
De la même manière, il ne suffit pas d’ajouter un petit mot. Par exemple « dans quelle mesure peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire » ou « en quel sens peut-on dire qu’une œuvre d’art ne veut rien dire ». Tout cela ne sera pas suffisant.
II. Ce qu’est la problématique
C’est fondamental et décisif par rapport à la réussite de la dissertation : une bonne problématique ou une problématique tout court en philosophique implique la formulation d’une difficulté qui empêche de répondre immédiatement au sujet philosophique, une difficulté qui exige un traitement philosophique. On ne peut pas répondre à la question parce qu’une difficulté se présente, parce qu’une contradiction, un paradoxe se présente. Ainsi, on formule le problème auquel on a affaire, problème qui exige un traitement philosophique.
III. Difficulté, enjeux, fil directeur
Il est intéressant, par rapport à la recherche de la problématique, de trouver une difficulté. Alors que jusqu’à présent dans votre scolarité, on vous a demandé de trouver les solutions par rapport à une question donnée, ici ce qui intéresse le correcteur, ce ne sont pas tant les solutions que les problèmes, c’est-à-dire la capacité à montrer pourquoi la question se pose, quelles difficultés rencontre-t-on dans la réponse que l’on cherche à donner à cette question. Donc il faut penser à la difficulté, chercher les difficultés relatives à une question donnée.
Il faut aussi chercher les enjeux. Cela permet également de préciser le sens d’un problème que de trouver ses enjeux. Les enjeux sont les conséquences. Si on répond comme ceci, qu’est-ce que ça donne ? Quelles sont les conséquences pratiques ? Quelles sont les conséquences théoriques à cette réponse ? Si on répond comme cela, quelles en sont les conséquences ? Qu’est-ce qui est en jeu ?
Enfin, l’objectif est bien de se donner un fil directeur pour sa propre dissertation, c’est-à-dire que le problème sera le point sur lequel il faudra à la fin de chaque partie revenir constamment. C’est un point essentiel, ça donne un fil de réflexion, donc un fil directeur pour la dissertation.
IV. Exemple de problématique
On prend l’exemple de sujet « Peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ? » pour essayer de voir comment on pourrait mettre en place ou formuler une problématique. Une problématique ne pourra pas consister à dire « Dans quelle mesure peut-on reprocher une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ? » On n’a pas manifesté par là de difficultés, de problèmes ou de contradictions.
La meilleure manière de montrer qu’un problème se pose est de formuler cette problématique sous la forme d’une alternative, d’une contradiction franche. « Faut-il penser ceci ou à l’inverse faut-il penser cela ? » C’est la raison pour laquelle on ne peut pas répondre d’emblée à la question.
« Peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ? » On peut reformuler les choses en se donnant deux d’alternatives et se demander si de fait, au bouillon, il y a des œuvres d’art qui n’ont aucune signification ou au contraire faut-il penser que toutes les œuvres d’art transmettent un message. Donc, de fait, les œuvres d’art expriment-elles toutes quelque chose ou au contraire faut-il penser de droit qu’une œuvre d’art n’a aucune signification déterminée ?
Comme on l’a vu, l’objectif est précisément de montrer que si l’artiste avait voulu dire quelque chose, il se serait contenté de le dire, il n’aurait pas créé une œuvre d’art pour cela. Là, on a une vraie opposition, on a une véritable contradiction et c’est donc une problématique. On a vraiment une alternative, une contradiction et on ne peut pas se décider tant qu’on n’a pas traité le sujet.
Pour le sujet qu’on s’est donné, à savoir « Peut-on reprocher à une œuvre d’art de ne rien vouloir dire ? », on peut formuler la problématique de la manière suivante : « Faut-il penser que toutes les œuvres d’art expriment quelque chose ou comprendre qu’au contraire la spécificité de l’art réside dans son caractère irréductible à tout discours ? »