Le rôle des individus et des sociétés dans l’évolution des milieux
La Révolution industrielle du XIXe siècle : un processus séculaire
Avec la révolution néolithique, on interrogeait un processus millénaire. Ici, on s’intéresse un processus plus court dans le temps. La révolution industrielle débute en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle. Elle s’étend tout au long du XIXe siècle et fait sentir ses effets au début du XXe siècle. Il s’agit donc d’un processus séculaire.
On étudie une succession d’inventions et d’innovations qui changent les conditions de production et de vie dans les pays d’Europe, aux États-Unis, en Russie et au Japon, en portant le regard sur la temporalité. S’agit-il d’une révolution, brutale et soudaine, ou plutôt d’un processus inscrit dans le temps long, c’est-à-dire une industrialisation qui passe par vagues (thèse de l’historien P. Verley) ?
I. Une longue série de changements préparatoires
Dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, les changements viennent des campagnes. Celles-ci sont marquées par l’émergence d’un capitalisme agraire : les champs sont enclos au profit de propriétaires qui décident d’améliorer l’agriculture et de la spécialiser pour s’enrichir. Cela est considéré par des historiens comme l’origine de la révolution industrielle pour deux raisons :
– Il y a un marché de la terre qui devient lucratif. De plus, par la spécialisation et les nouvelles techniques, une partie de la population des paysans les plus pauvres quittent la terre car ils ne peuvent s’acheter de propriétés et se retrouvent en ville. Il y a donc une main-d’œuvre industrielle.
– Un mouvement de proto-industrialisation s’installe dans les campagnes. Cela signifie que l’on commence à produire dans le cadre de la ferme, du domestic system, avec des machines installées dans les propriétés. On passe d’un petit artisanat, textile surtout, à une production de plus en plus importante pour la demande des villes, notamment pour le textile, bois etc. La proto-industrialisation est très importante pour une première concentration du capital qui permet de financer l’industrialisation.
Il faut ajouter à cela l’empire colonial britannique. Cet empire fournit des matières premières (coton des Indes) mais aussi quelques capitaux pour permettre aux grands commerçants et financiers de commencer à investir dans l’industrie. C’est ainsi dans le cadre du domestic system à la campagne qu’apparaissent les premières machines encore rudimentaires (machines à filer et tisser le coton).
L’invention la plus importante a lieu dans les mines. On passe du charbon de bois au charbon de terre. C’est dans ce contexte que James Watt (1736-1819) invente la machine à vapeur, dédiée à l’exploitation du charbon et à la métallurgie. C’est son association avec l’entrepreneur Bolton qui donne naissance à la première entreprise. Il le convainc d’améliorer la machine à vapeur pour pouvoir l’utiliser autre part que dans les mines et notamment dans les transports.
Ces changements préparatoires pour l’Angleterre se produisent ensuite sur le continent européen et débouchent sur des ruptures chronologiques en chaîne.
II. Des ruptures technologiques en chaîne
Un premier système technologique début XIXe siècle s’appuie sur le charbon, la vapeur et le textile. À celui-ci s’en ajoute un deuxième, à partir des années 1860-1870, avec l’invention de l’acier. L’âge de l’acier est parfois qualifié de deuxième révolution industrielle. L’acier est un nouveau mélange de fer et de carbone qui permet d’avoir un produit plus résistant qu’on va utiliser dans la construction.
Par exemple : la tour Eiffel, fabriquée pour l’exposition universelle de Paris en 1889. L’acier est aussi utilisé dans le chemin de fer pour avoir des rails plus résistants, mais aussi dans l’armement pour développer l’artillerie moderne.
À ce nouveau matériau s’ajoute des nouvelles sources d’énergie. À la vapeur se substitue l’électricité et le pétrole. La machine à vapeur, telle qu’inventée par J. Watt, n’est pas très efficace car il y a beaucoup de déperdition d’énergie. On n’utilise qu’un dixième de la vapeur pour faire du mouvement mécanique. D’autre part, les machines tombent souvent en panne et sont dangereuses. Avec le pétrole et l’électricité, l’invention du moteur électrique et moteur à explosion, on a des machines plus petites et plus efficaces. Ce changement a lieu dans les années 1870-1880 et permet de passer du domestic system au factory system et de réunir des ouvriers dans de grandes usines qui fonctionnent avec l’électricité et des machines plus perfectionnées.
La science est progressivement mise au service de l’industrie. Les innovations s’enchaînent les unes aux autres. Des inventeurs de génie deviennent entrepreneurs comme G. Claude qui invente le gaz liquéfié et qui crée Air Liquid. T. Edison a déposé des milliers de brevets dans l’électricité et il lance sa propre entreprise. Les inventeurs se font donc entrepreneurs et les grandes entreprises recrutent des savants. Dans les entreprises de la chimie allemande, on recrute des chercheurs et des savants pour travailler dans des laboratoires. F. Haber a inventé la synthèse de l’ammoniac au début du XXe siècle.
III. Des impacts sociaux et spatiaux considérables
Les pays d’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon dans un deuxième temps, prennent un avantage décisif sur les autres pays du monde. Ils connaissent un bouleversement de leurs niveaux de vie et de leurs conditions de vie. Le taux de croissance économique s’accélère avec l’enrichissement des populations. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les taux de croissance étaient estimés à des niveaux très bas (entre 0,5 et 1 %). La croissance économique moyenne passe à 2 voire 2,5 % par an. L’économie est donc tirée par l’industrie. Toutefois il y a des crises plus fréquentes, qui sont des crises de surproduction, notamment la grande crise de fin de siècle qui touche les pays industrialisés entre 1873 et 1896.
Les changements sont aussi au cœur des sociétés avec l’émergence d’une grande bourgeoisie industrielle d’entrepreneurs qui s’enrichissent beaucoup dans le cadre d’un capitalisme familial et qui s’agrègent aux anciennes élites aristocratiques. Elles n’ont certes pas la noblesse, mais elles sont la richesse.
L’autre grand changement, c’est l’émergence d’un prolétariat ouvrier et industriel, dans les villes qui sont nées de la révolution industrielle ou qui se sont développées avec la révolution industrielle. Entre 1/3 et 1/2 de la société est composée d’ouvriers. C’est en Angleterre qu’ils sont les plus nombreux. Dans les villes se développent des couches intermédiaires, appelées par Léon Gambetta des « couches moyennes » qui vivent pour l’essentiel en ville, d’activité de services, en lien avec l’évolution des niveaux de vie et de la demande.
Les catégories sociales sont donc totalement bouleversées et avec elles la géographie des pays industriels. De grands bassins industriels naissent et ils sont accompagnés d’une urbanisation très forte. Au XIXe siècle, les pays en voie d’industrialisation étaient encore des pays très ruraux avec 10 % de citadins. Un siècle plus tard, à la veille de la guerre de 1914, il y a 35 % d’urbains. La population urbaine a donc été multipliée par 3,5. Il faudra attendre les années 1930 pour avoir 50 % d’urbain et de ruraux.
Conclusion
Finalement, les changements qui ont été impulsés par la révolution industrielle, sont décisifs. C’est le deuxième pas qui fait entrer la planète dans l’anthropocène. En maîtrisant les techniques industrielles, l’homme n’a jamais été autant facteur de transformation de son environnement.
La néolithisation : révolution ou transition ?
Les révolutions néolithique et industrielle sont deux moments forts de l’histoire de l’environnement. Ces deux révolutions font entrer l’humanité dans l’anthropocène, c’est-à-dire une période de l’histoire de la planète où l’homme devient le principal facteur de transformation.
La révolution néolitique intervient à partir de 10 000 av. J.-C., à partir de foyers au Proche-Orient et en Extrême-Orient et se diffuse dans le monde. Elle est porteuse d’une nouvelle civilisation, agro-pastorale qui s’appuie sur l’agriculture et sur les premiers villages et agglomérations urbaines. Le terme de néolithique signifie étymologiquement « le nouvel âge de pierre ». Il s’agit d’une formule inventée par le savant Lubbock dans les années 1860, par opposition au paléolithique la « pierre ancienne ». On considère cette néolithisation comme la première grande révolution qui fait entrer dans l’anthropocène.
I. Une lente transition plurimillénaire
Elle commence vers 10 000 av. J.-C. mais se prolonge jusqu’au IVe et IIIe millénaire av. J.-C.. C’est donc un processus extrêmement lent à partir de deux foyers initiaux qui sont le Proche-Orient et la Chine. Quatre autres foyers se rajoutent. Depuis le Proche-Orient, il y a une extension vers les Balkans et l’Europe. Depuis la Chine vers l’Océanie. Un troisième foyer de l’Afrique du Nord vers l’est. Le quatrième foyer de naissance se situe en Amérique où apparaît vers le IVe millénaire av. J.-C. un foyer vers les Andes et beaucoup plus tard au Mexique à partir du IIIe millénaire av. J.-C.. Ce sont ainsi plusieurs foyers étalés dans le temps. On retrouve dans ces différents endroits, les mêmes évolutions :
– D’abord la domestication des plantes et des animaux et la naissance de l’agriculture. Par exemple, pour les animaux, le chien est adapté à partir du loup dès l’époque du néolithique et le chat est domestiqué pour protéger le foyer et les troupeaux. Ce qui importe, c’est surtout la domestication du bétail. Celui-ci se comporte des buffles, des bœufs ou encore de la volaille, domestiqués et servant à l’élevage. Du côté de la domestication des plantes et des céréales, il y a le riz, le millet, le maïs en Amérique.
– Cela donne naissance aux premiers villages. Les populations se sédentarisent, et se regroupent dans des agglomérations. On a pu prouver que la plupart étaient fortifiés et protégés. La question des guerres au néolithique est débattue par les archéologues. La découverte de l’hypogée de Roaix (Vaucluse), avec des témoignages d’un massacre important qui laisse penser que les premières guerres entre sociétés humaines peuvent dater du néolithique.
Que sont devenues les anciennes populations de chasseurs-cueilleurs ? La plupart du temps elles ont été acculturées ou alors elles ont gagné des biotopes moins recherchés comme les biotopes des lacs, des rivières ou des mers. Ou alors elles se sont réfugiées dans les forêts comme les populations de pygmées qui ont refusé de se sédentariser et qui ont vécu jusqu’au XXe siècle.
II. Les facteurs explicatifs
Trois facteurs permettent d’expliquer ces changements.
– Le facteur climatique : on sait que la planète a vécu une période de réchauffement climatique favorable à l’agriculture et à la sédentarisation des hommes et à l’élevage de nouveaux animaux. Cette période interglaciaire débute environ entre -12 000 et -10 000.
– L’évolution des techniques : avec les techniques de conservation des céréales qui sont conservées dans des jarres fermées ou dans des fosses colmatées. On protège les récoltes grâce aux chats qui protègent des rongeurs. On sait aussi que les contemporains réalisaient à partir de la pierre, des haches polies pour la chasse, d’où le nom de néolithique. Ils maîtrisaient déjà l’art de la poterie, de la céramique pour l’art et l’agrément. Il y a donc une série d’innovations techniques.
– Les facteurs mentaux : jusqu’au néolithique, l’homme se percevait comme un simple élément de la nature, comme les animaux, plongé dans un environnement hostile. Désormais, il y a une sorte de révolution des symboles comme le dit l’archéologue J. Cauvin. L’homme se sent désormais capable de dompter la nature et de la maîtriser. On le voit à travers de nouvelles attitudes, comme celle des pratiques funéraires. Les défunts commencent à être inhumés, avec de la poterie, leurs armes. Cela montre un changement de la relation à la nature et au sacré.
III. Des conséquences « révolutionnaires »
Pour certains spécialistes, la révolution néolithique fait entrer la planète dans l’anthropocène. L’Homme devient un facteur agissant, transformateur de la nature. Cela a des conséquences jusqu’à aujourd’hui :
– Un boom démographique : les femmes du néolithique, du fait d’une plus grande sécurité alimentaire et d’une sédentarisation, font un enfant tous les ans alors que par le passé, l’intervalle était à trois années. C’est le début d’une expansion démographique qui s’accélère.
– De nouveaux risques : les populations qui mangent davantage et mieux, voient arriver les risques de surpoids et d’obésité. Le fait que la population vive au milieu du bétail crée des pandémies nouvelles (comme la brucellose) qui sont des maladies relativement à grande échelle. La peste apparaît en Europe au IVe millénaire.
Ce n’est pas seulement l’homme qui se met en danger en transformant son environnement, c’est aussi la biodiversité qui commence à se réduire à partir du néolithique. Par exemple, certains grands mammifères ont disparu en Amérique du Nord, comme le Mammouth, ou en Europe. Il s’agit d’une réduction de la biodiversité et de la mise en danger du règne animal dont on est les très lointains héritiers. Inversement, dans les premiers villages et agglomérations urbaines, on a l’apparition de plusieurs espèces invasives comme le rat des villes ou le ragondin. Certains types de frelons apparaissent à l’époque du néolithique.
Conclusion
On est bien entre continuités et ruptures. Ce qui frappe, c’est que les sociétés humaines anthropisent toujours davantage leur environnement, pour le meilleur et pour le pire.