L'existence et le temps
Pour parler de l’existence, on va partir de la notion d’être. Quand on parle d’une chose, soit on peut dire qu’elle est, auquel cas on parle de l’existence ; soit dire ce qu’elle est, dans ce cas on parle de son essence. L’essence d’une chose est ce qui la définit essentiellement. Le temps est le milieu où se déroule la succession des événements. Il y a donc bien un lien entre le temps et le fait qu’il y ait un mouvement.
I. Essence et existence
On s’interroge sur le lien qui existe entre essence et existence. La question de savoir si on peut déduire l’existence d’une chose de l’analyse de son essence. L’essence d’une chose, l’essence d’un être est sa nature. C’est ce qui lui appartient essentiellement. Par exemple, il appartient à l’essence de l’homme d’être mortel. En revanche, il est accidentel que l’homme meurt à 80 ans par exemple. Le couple de notions-repères très important ici est donc essentiel/accidentel. L’essence d’une chose est ce qui nous permet de donner sa définition.
Sur le lien entre existence et essence, il y a deux positions possibles :
– Une première position est de dire que l’on va déduire l’existence de l’essence. C’est la position que prend par exemple Descartes dans ses Méditations Métaphysiques qui entend prouver l’existence de Dieu en analysant son essence. Descartes dit que lorsque je réfléchis à la notion de Dieu, je trouve la notion d’un être absolument parfait. Et voici son raisonnement : Dieu est un être absolument parfait qui a toutes les perfections. Or, l’existence est une perfection. Donc Dieu existe. Autrement dit, dit Descartes, je ne peux pas plus concevoir Dieu sans l’existence que je ne peux concevoir une montagne sans vallée. Autrement dit encore pour Descartes, je peux déduire analytiquement l’existence de Dieu de son essence. J’analyse la notion de Dieu, et je trouve l’existence qui appartient à sa notion. Donc dans cette position, on déduit l’existence d’une analyse de l’essence.
– Kant critique l’argument ontologique de Descartes. Pour Kant, on ne peut pas déduire l’existence de l’essence. En effet, quand j’analyse une chose dit Kant, je ne trouve pas nécessairement son existence. L’existence n’est pas un prédicat comme les autres, explique Kant. Par exemple, si j’analyse ce qui fait l’essence d’une fleur, je ne trouverais pas le fait que cette fleur existe. L’existence ne peut en réalité qu’être constatée. Quand je dis qu’une chose existe, je n’émets pas un jugement analytique mais un jugement synthétique. La notion en elle-même ne contient rien qui m’indique son existence. Dans sa Critique de la Raison Pure, Kant prend un exemple : « Cent thalers (une ancienne monnaie allemande) possibles ne contiennent rien de plus que cent thalers réels ». Pour savoir s’ils existent, je dois donc faire un constat empirique et lier synthétiquement de l’existence à l’essence. Pour Kant, on ne peut déduire l’existence de l’essence car l’existence vient en dehors de l’essence : elle est rajoutée par un constat empirique.
II. L’existence est le propre de l’homme
Dans un second temps, il est important d’approfondir cette notion d’existence en rappelant que l’existence n’est pas que le fait d’être puisque l’existence est le propre de l’homme.
En effet l’homme, à la différence des objets, n’est pas clos sur lui-même. Cela veut dire que l’homme a une capacité à se projeter vers ce qu’il désire, vers ce qu’il imagine, vers ce qu’il veut. Il a la capacité de se projeter vers l’avenir en mobilisant son imagination et ses souvenirs. Autrement dit, l’homme a la capacité de se transcender. C’est le sens du mot « exister » qui veut dire « sortir de soi », sortir de sa position. C’est le fait de se transcender, de ne pas être clos sur soi.
Donc si l’homme a la capacité de se nier constamment, de se projeter vers ce qu’il désire, cela veut bien dire qu’il n’a pas d’essence fixe, de nature fixe, puisqu’il est constamment en train de nier ce qu’il est pour se projeter. Autrement dit, l’homme est libre, puisqu’il n’est pas déterminé par une essence. C’est la grande thèse de Jean-Paul Sartre qui écrit dans L’existentialisme est-il un humanisme ? : « l’existence précède l’essence. » L’homme existe d’abord, puis il se projette et se détermine seul, il se donne une essence.
S’il n’y pas de nature humaine (ce qui veut dire que l’homme est libre), il existe cependant une condition humaine. Par exemple, la mortalité de l’homme appartient à sa condition.
III. Comment se comporter face à la mort ?
Ce constat invite à s’interroger sur cette condition humaine, et notamment le comportement à adopter face à la mort qui appartient à cette condition.
La première thèse est celle de Pascal sur le divertissement. Pascal dit que « l’homme passe son temps à se divertir, à désirer des objets ». Le divertissement pour Pascal est une pratique d’esquive qui permet de se détourner de quelque chose, et précisément pour Pascal, de se détourner notre condition d’être mortel, trop difficile à assumer pour être conscientisée constamment. L’homme se divertit constamment, il se détourne de lui-même constamment, ce qui est une manière de ne pas penser à la mort. Selon Pascal, le désir ne se définit pas par rapport à l’objet qu’on désire, mais bien par le sentiment de désir en tant que tel, c’est-à-dire que dans le désir, obtenir l’objet du désir compte moins que le fait de désirer en soi.
Par sa thèse, Pascal s’oppose aux stoïciens pour qui il ne faut pas passer son temps à éviter et craindre la mort. Pour les stoïciens, il faut faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Or, la mort ne dépend pas de nous, et comme disent les stoïciens, et en particulier Epictète dans son Manuel : « ce n’est pas la mort qu’il faut craindre, mais la crainte de la mort ». Comme la mort ne dépend pas de moi, il appartient à la sagesse de l’accepter et de tout faire pour que mon jugement sur la mort soit positif, afin d’être heureux.