L’Empire ottoman, de l’essor au déclin

L'empire ottoman, de l'essor au déclin

L’Empire ottoman a pris la forme d’un empire qui s’est constitué par la force, par la conquête militaire et qui a peiné à gérer un espace d’influence considérable. Pour problématiser, on peut s’appuyer sur les travaux de Paul Kennedy, historien et géopolitologue qui écrivait en en 1987 l’ouvrage Naissance et déclin des grandes puissances. Dans cet ouvrage, il met en avant le postulat que tout empire périra du fait de sa taille trop importante et des contradictions internes et externes que cette taille suscite. Il appelle cela le phénomène de surexpansion impériale. La question est donc de savoir dans quelle mesure l’Empire ottoman est mort progressivement de ce phénomène de surexpansion impériale.

 

I. L’Empire ottoman à son apogée territorial et politique

 

Au démarrage, il y a une tribu au Proche-Orient, celle des Seldjoukides qui, au XIe siècle, bat les Byzantins et se constitue un petit empire en Asie mineure. L’Empire des Seldjoukides a été abattu par les Mongols. La tribu des Ottomans, qui n’était qu’une tribu vassale des Seldjoukides, grâce à leurs victoires sur les Byzantins, a commencé à se constituer un Empire. Il s’est développé à partir des XIVe et XVe siècles jusqu’à devenir un Empire continental centré sur la Méditerranée et dont la capitale passe à Constantinople, rebaptisée Istanbul en 1453 lorsque l’Empire byzantin finit de s’effondrer.

C’est ainsi que l’Empire ottoman domine tout le bassin méditerranéen et une partie de l’Europe orientale à son apogée aux XVIe et XVIIe siècles. Les armées ottomanes ont mis le siège à Vienne en 1529 et en 1683. Les limites étaient donc proches de l’Autriche, de la Hongrie et de la Slovaquie actuelle. L’Empire englobait également toute l’Afrique du Nord, sauf le Maroc et une bonne partie du Proche et Moyen-Orient. Au sud, la péninsule arabique était sous sa domination mais plutôt comme une marche de l’empire plutôt qu’une zone véritablement contrôlée. Elle est en proie à des luttes de tribus et le pouvoir central s’y fait moins sentir qu’au cœur de l’empire.

L’apogée de l’empire se situe au moment du règne de Selim Ier au début du XVIe siècle. C’est le moment où le sultan devient également le calife, le chef des croyants. À cette époque, les reliques du prophète Mahomet sont rapportées dans la capitale des Ottomans à Istanbul. Après la bataille de Lépante à la fin du XVIe siècle (1571), perdue contre les forces chrétiennes coalisées, on peut considérer que l’Empire ottoman n’augmente plus véritablement son pouvoir même s’il reste quelques conquêtes comme Chypre. À partir de ce moment, l’Empire subit un déclin progressif de plus en plus important au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Au XIXe siècle, on le qualifie, comme l’a dit le tzar Nicolas Ier, de « vieille homme malade de l’Europe ». C’est un empire ancien qui inquiète et fascine depuis près de 500 ans.

 

II. Les facteurs du déclin

 

A. Facteurs internes

Ils ont d’abord trait à l’économie. L’Empire n’a pas connu de révolution industrielle au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Il n’a pas innové et en matière commerciale, alors qu’il maîtrisait bien le commerce méditerranéen, il a perdu son avance dans la mesure où une partie du grand commerce s’est déplacé de la Méditerranée à l’Atlantique. Il a aussi laissé les marchands européens et juifs faire l’essentiel du commerce.

Il lève difficilement des impôts dans un territoire immense. Il est de moins en moins bien contrôlé plus on va vers les périphéries. C’est donc un État qui s’endette et qui remet une partie de ses dettes entre les mains d’une banque internationale franco-anglaise, la Banque ottomane constituée au XIXe siècle.

Ainsi, pour se développer et connaître la modernité industrielle, l’Empire ottoman fait appel à des investisseurs étrangers européens. Pour le pétrole par exemple, c’est un consortium international (Turkish Petrolum Compagny) qui accapare les rentes pétrolières ottomanes. Le chemin de fer, avec la constitution par exemple du Bagdadbahn qui va de Berlin à Bagdad en passant par Istanbul, est construit par les Allemands.

Ces facteurs économiques sont liés à des facteurs intellectuels et culturels. L’Empire ottoman est très conservateur. Sa culture s’oriente exclusivement sur la religion musulmane et les ottomans refusent un certain nombre de progrès de l’époque, symboliquement comme l’imprimerie. De la même manière les interprétations du Coran s’interrompent. On fige la tradition une fois pour toute. La société est donc peu réceptive aux innovations qui viennent d’Europe.

Il y a également des blocages politiques. Une partie de l’armée, des troupes d’élites refusent les évolutions politiques de l’Empire vers plus de liberté. Notamment pour les différents peuples. Ces troupes d’élites assassinent régulièrement des sultants. Elles sont composées de janissaires, essentiellement recrutés parmi la jeunesse, notamment dans les minorités religieuses. Osman II (1604-1622) et Selim III (1789-1807) sont des sultans qui se sont fait assassiner par l’armée, gardienne des traditions.

 

B. Facteurs externes

L’Empire ottoman connaît une série de défaites militaires à partir de la paix de Karlowitz (1699). C’est une défaite militaire contre les Russes qui lui fait perdre pieds progressivement en Europe centrale et dans les Balkans. Pendant la guerre de Crimée en 1850, l’Empire ottoman n’a dû son salut qu’à l’intervention des Français et des Anglais qui lui ont permis de sauver des territoires dans les Balkans. C’est ce qui explique aussi les révoltes à l’intérieur de l’armée ottomane. Il y a un malaise qui gagne toute la société au gré des défaites militaires. Le développement des appétits russes est donc un facteur très important au détriment de l’Empire ottoman. Ce sont les Russes qui, au nom de la défense des minorités chrétiennes orthodoxes, d’une solidarité avec les Slaves du sud et la volonté d’un accès aux mers chaudes, rendent de plus en plus fragile un Empire avec leurs attaques répétées.

À ce point de rencontre entre facteurs externes et internes, il y a les minorités nationales ethniques et religieuses. C’est par là que l’Empire commence à se déliter dans les Balkans dans les années 1820-1830. Cela se traduit par l’autonomie de la Serbie dès 1829 et l’indépendance de la Grèce en 1830 qui inaugurent le mouvement des nationalités.

 

III. Un Empire qui périclite avant de disparaître

 

L’Empire périclite au cours du XIXe siècle jusqu’à sa disparition, car il a été incapable de se réformer malgré les tentatives qui ont été faites. La première tentative de réforme date des années 1820-1830.

Dans les années 1820, le sultan élimine le corps des janissaires. À partir de 1839, on lance la politique des Tanzimat qui signifie réorganisation. Depuis, l’Empire cherche à évoluer à l’occidental. À la place des troupes d’élites, on crée un service militaire qui recrute dans les différentes populations de l’Empire. En échange, ils obtiennent une égalité civique et juridique. Si c’est une tentative pour calmer le mouvement des nationalités, celui-ci va cependant s’affirmer. Il s’agit aussi de créer un gouvernement à l’occidental qui détient les leviers de l’exécutif, en dessous du sultan. Ces Tanzimat sont prolongés dans les années 1850 et 1870.

Dans les années 1850, le sultan promulgue une charte qui commence à faire de l’Empire ottoman un État de droit.

En 1876, on promulgue une constitution monarchique et parlementaire à l’européenne. On a donc la constitution d’un parlement et d’élections, un début de démocratie représentative. Cette constitution est remarquable car elle sépare les pouvoirs. Le parlement élu détient le pouvoir législatif. Les tribunaux détiennent le pouvoir judiciaire qui devient indépendant du pouvoir central. Les citoyens jouissent désormais de l’égalité civique et politique pleine et entière ce qui représente un changement majeur qui aurait pu sauver l’Empire de ses difficultés et notamment du danger des minorités nationales et religieuses.

Les relations internationales interfèrent avec le processus de démocratisation dans l’Empire. Il subit une énième défaite en 1877 contre la Russie. Les puissances occidentales se réunissent dans le congrès de Berlin. La conclusion de ce congrès fait perdre une grande partie de ses territoires dans les Balkans. Cela provoque une réaction antidémocratique à l’intérieur incarnée par le sultan Abdülhamid II (surnommé le Sultan rouge) qui suspend le parlement et la constitution de 1876 pour revenir aux pratiques antérieures. La réforme s’interrompt donc et l’Empire s’apprête à entrer dans une période de révolution et de guerres qui seront les causes de son effondrement total.

L’Empire ottoman entre en révolution en 1908. A cette époque, un groupe d’intellectuels et d’officiers de l’armée connu sous le nom de Comité Union et Progrès prend le pouvoir pour obliger le sultan Abdülhamid II (1842-1918) à rétablir la constitution. On nomme ce mouvement la Révolution des Jeunes-Turcs. Cette grande instabilité politique et institutionnelle intérieure profite aux puissances extérieures. L’Autriche-Hongrie profite de ce moment pour annexer la Bosnie qu’elle occupait depuis 1878. La Bulgarie proclame son indépendance et la Crète décide de son rattachement à la Grèce.

L’Empire se réduit donc considérablement. En 1912-1913 se déroule l’avant-dernier acte de cet effondrement. Avec les guerres balkaniques, les petites puissances indépendantes des Balkans groupées derrière la Serbie et la Bulgarie affrontent l’Empire ottoman pour le chasser définitivement des Balkans. À cette époque, il vient de perdre la guerre en Libye contre l’Italie. A cette occasion en 1913, le pouvoir Jeunes Turcs tente de revenir.

À ce moment, il y a une contre-offensive. La future Turquie se redresse et reconquiert des territoires dans les Balkans, notamment dans la Thrace et réussit à sauver ce qui lui restait de territoires. Son territoire est désormais recentré sur l’Anatolie. L’Empire s’engage dans la Première Guerre mondiale auprès des puissances centrales (Empire germanique, Empire austro-hongrois) pour combattre l’autre bloc, la Russie, alliée de la France et de l’Angleterre. C’est le baroud d’honneur de cette puissance ottomane qui s’est délitée et du pouvoir Jeunes-Turcs qui recherche une légitimité.

Cette aventure se termine par un drame, le génocide perpétré par le pouvoir Jeunes-Turcs en 1915, contre les minorités arméniennes et assyro-chaldéennes considérées comme des ennemis de l’intérieur depuis le XIXe siècle et des complices de la Russie. 

Le traité de Sèvres en 1920, le prive à la fois de ses territoires européens dans les Balkans mais aussi dans le Moyen et Proche-Orient qui deviennent des mandats de la SDN confiés à des puissances européennes. Elle perd aussi des territoires d’Afrique du Nord, devenus des protectorats européens.

 

Conclusion

 

Cet empire unifiait le monde musulman autour du pouvoir de son sultan calife. Il a inquiété les Européens pendant plus de cinq siècles mais a fini par s’effondrer à l’issu de la Première Guerre mondiale. De cet ensemble est née la Turquie nouvelle qui est construite par Mustafa Kemal (1881-1938) à l’issue d’une guerre d’indépendance qui l’a opposée à la Grèce. Cette Turquie est réduite à l’Anatolie qui devient un État-nation en lieu et place d’un empire multinational et redéfinit toutes ses valeurs et son modèle autours des notions de nationalisme, de libéralisme et de laïcité.   

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