Participer ou être représenté : Benjamin Constant et la démocratie
La réflexion se poursuit sur la démocratie avec un saut considérable dans l’Histoire pour passer de l’Athènes du Ve siècle avant J.-C. à la France de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle avec la personnalité de Benjamin Constant. Il est le grand penseur de la liberté individuelle dans un cadre démocratique.
La liberté individuelle n’est plus la liberté des anciens, qui était collective, mais c’est une liberté qui repose sur des droits individuels et sur la protection contre deux risques : la confiscation de la démocratie et de la liberté par l’État et la menace de la tyrannie des masses en régime démocratique. Au XXe siècle, le philosophe anglais Isaiah Berlin le présentait comme le plus éloquent de tous les penseurs de la liberté et de la vie privée.
I. Une formation intellectuelle libérale
Dans un premier temps, Benjamin Constant a reçu une formation intellectuelle libérale. Il est né en 1767 à Lausanne dans une famille française qui s’était exilée en Suisse à cause des persécutions religieuses contre les protestants. Sa famille l’envoie à Édimbourg en Écosse pour étudier auprès des grand maîtres du libéralisme naissant : Adam Smith et Adam Ferguson. Il apprend à leurs côtés les libertés mais également l’individualisme.
À partir de 1789, il revient en France et sa formation intellectuelle libérale se confronte à la période de la Terreur. Benjamin Constant rallie à cette époque le Groupe des idéologues créé en 1795 par Antoine Destutt de Tracy et d’autres savants qui voulaient se mettre au service de Napoléon pour permettre aux hommes de sciences de participer au gouvernement. Ainsi, Benjamin Constant est nommé par Napoléon au Tribunat pour réfléchir à l’élaboration d’une nouvelle constitution démocratique devant achever la Révolution française.
À cette époque, il rencontre Germaine de Staël, la fille de Necker, l’ancien trésorier de Louis XVI. Il lie avec elle une relation intellectuelle et amoureuse qui façonne véritablement sa pensée et la suite de sa vie. Les deux amants et le Groupe des idéologues rompent avec Napoléon après le coup d’État du 18 brumaire. Benjamin Constant dénonce la tendance des gouvernements, même dans un cadre démocratique, à s’arroger un maximum de pouvoir au détriment des citoyens.
II. La critique du despotisme napoléonien
Cette opposition à Napoléon vaut à Germaine de Staël et à Benjamin Constant un exil à partir de 1803 en Suisse, au château de Coppet la résidence de Necker. Dans cette résidence, Benjamin Constant forme ce qui peut être considéré comme le premier « think tank » libéral, c’est-à-dire un salon dans lequel tous les grands esprits se rencontrent pour discuter du libéralisme. On l’appelle alors le Groupe de Coppet. Ce dernier réfléchit à la fois aux questions de liberté économique et de libre-échange mais aussi de liberté politique, religieuse ou culturelle.
Au sein de ce creuset intellectuel, Benjamin Constant finit de forger ses idées qui sont résumées en 1813 dans un véritable brûlot contre Napoléon qui s’intitule De l’esprit de conquête et d’usurpation. En 1814, au déclin du régime napoléonien, il peut revenir à Paris et décide de s’engager en politique en devenant le chef de file du parti libéral. À sa mort en 1830, il est célébré comme l’un des premiers grands libéraux et son ami La Fayette défenseur, aussi, de la liberté prononce son éloge funèbre.
III. Liberté des Anciens contre liberté des Modernes
Le cœur de la pensée de Benjamin Constant est prononcé lors d’un discours en 1819 devant l’Athénée royale durant lequel il distingue la liberté des Anciens contre la liberté des Modernes. Il explique alors, que toutes les dérives liées à la Révolution française et à la période de la Terreur s’expliquent par le fait que la liberté des Anciens a été appliquée plutôt que le passage à la liberté des Modernes. La liberté des Anciens renvoie à une implication directe et active dans la politique de la cité de tous les individus. Ce qui compte, désormais, selon Benjamin Constant, correspond à la jouissance de la liberté individuelle.
Cette liberté individuelle, par rapport à la liberté collective, se distingue par le fait de profiter pleinement de son droit à la propriété privée. Il s’agit d’une optique individualiste. Cela signifie que l’État ne peut exercer aucun pouvoir arbitraire sur l’individu qui doit pouvoir jouir de la liberté de croyance, de se déplacer, de contracter ou encore de travailler. Le pouvoir ne doit pas se mêler du bonheur des gens comme disait Benjamin Constant car les individus s’en chargent eux-mêmes. C’est donc une théorie de la limitation du pouvoir de l’État, en référence à l’époque que Benjamin Constant a vécu durant la Terreur en 1793. Époque où Robespierre, inspiré des écrits de Rousseau et au nom d’une liberté collective, souhaitait contraindre les individus.
Désormais, la liberté individuelle doit prédominer. Cependant, pour Benjamin Constant, jouir de sa liberté individuelle peut présenter des menaces. Le citoyen peut finir par se désintéresser des affaires publiques et laisser les gouvernants s’accaparer le pouvoir. Pour que la liberté individuelle soit respectée, les citoyens doivent continuer à contrôler leurs représentants. Pour conclure, Benjamin Constant affirmait à la fin de sa vie avoir passé quarante ans à défendre la liberté sous toutes ses formes. Il résumait la liberté comme le triomphe de l’individualité contre deux menaces : le despotisme de l’État et le risque de tyrannie des masses.