Une puissance en reconstruction : la Russie après 1991
À son arrivée au pouvoir au début des années 2000, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, présentait l’effondrement de l’URSS (1991) comme la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle. Si ce n’était peut-être pas une nostalgie vis-à-vis de l’ancien système communiste, c’était peut-être une expression du syndrome post-impérial : le choc subit par les Russes après la perte de leur grand Empire soviétique et l’issue des années 1990 qui ont été une décennie de chaos et de désillusion.
À partir de la fin du XXe siècle, il y a eu une entreprise de redressement et de reconstruction de la puissance guidée par Poutine. Il a toujours été réélu depuis 2000 jusqu’à aujourd’hui.
I. Une transition douloureuse dans les années 1990
À partir de 1992 et jusqu’à la fin des années 90, la Russie a connu une transition très douloureuse sous la présidence de Boris Eltsine (1931-2007).
A. Des difficultés économiques
Il s’agit d’une transition rapide, mal planifiée sous forme d’électrochoc et sans aide extérieure à part celle du FMI. Par rapport aux pays d’Europe centrale et orientale, la Russie n’a pas connu le soutien de l’Europe. Par rapport à la Chine, les réformes ont été brutales et rapides. Les privatisations en masse n’ont pas permis de faire rentrer beaucoup d’argent dans l’État. Ces sommes représentaient toutes les rentrées d’argent de la Pologne pour les seules privatisations.
En 2000, la Russie affiche un PIB atteignant à peine 65 % de celui de l’URSS de 1989. C’est donc un pays très appauvri, au bord de la faillite et qui a connu une multitude de crises. Le rouble s’est effondré et la société russe a même parfois dû revenir au troc.
B. Des difficultés sociales
Durant la présidence de Eltsine, la pauvreté augmente grandement. 40 millions de Russes (sur 150) sont touchés. Les inégalités se creusent. On voit apparaître les « nouveaux Russes » : des oligarques qui ont profité de l’ancienne économie collectivisée comme Mikhaïl Khodorkovski, devenu le roi du pétrole. Boris Berezovski grâce à sa puissance financière a dominé le Kremlin et a eu une forte influence sur Boris Eltsine. C’est une période de corruption. Eltsine parvient à se faire réélire avec l’appui des oligarques. C’est un mélange du politique et de l’économique qu’on retrouve durant toute cette période.
C. Une douloureuse transition politique
La transition politique est également difficile. Eltsine perd petit à petit du pouvoir dans le cadre de la nouvelle Constitution de 1993 qui donne plus d’autonomie aux différents territoires de la fédération de Russie qui avaient des statuts divers. Ce sont des sujets de la Fédération de Russie qui ont gagné en autonomie et affaibli le pouvoir du Kremlin, d’autant plus que Eltsine était sous influence.
Dans ce contexte, éclate la guerre de Tchétchénie (1994-1996). Elle est à l’image du drame que connaît la Russie dans les années 1990. Rapidement perdue par l’Armée rouge, le traité de 1996 donne une quasi indépendance à la République tchétchène.
Dans le contexte de délitement intérieur, alors que la Russie a failli connaître le sort de l’URSS (un éclatement), les Occidentaux ont défié la Russie. Elle a considéré qu’elle avait été humiliée. Les Américains avaient promis de ne pas étendre l’OTAN jusqu’à ses frontières, mais ils l’ont fait à la fin des années 1990. On peut considérer que la guerre du Kosovo en 1999, menée par l’OTAN sans l’accord de la Russie et du Conseil de sécurité de l’ONU a été vue comme un véritable affront. Les « frères » slaves du sud étaient auparavant sous la protection de Moscou.
Poutine arrive au pouvoir dans ce contexte. Boris Eltsine a annoncé brutalement à la fin de l’année 1999 qu’il renonçait à ses fonctions et qu’il nommait son premier ministre, Vladimir Poutine. c’est un ancien fonctionnaire des services secrets (FSB), ancien bras-droit du maire de Saint-Pétersbourg, qui a franchi tous les échelons vers le pouvoir. Depuis 2000 Poutine reste au pouvoir, notamment grâce à des procédures parfois discutables comme avec son premier ministre Medvedev.
II. Une volonté impérieuse de redressement sous Poutine ? (depuis 2000)
A. Renforcer le pouvoir central
Il s’agit d’abord d’un redressement du pouvoir intérieur. Poutine veut personnifier un pouvoir fort et vertical. Cela a été permis par la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2009), remportée par l’armée russe mais marquée par des massacres comme le siège de Grozny. A l’issue de cette guerre, Poutine a renforcé le pouvoir des ministères régaliens (intérieur, police, armée, justice). Il a restreint le pouvoir des sujets de la fédération en créant des super-régions et des super-préfets. Il place ses hommes à des postes clés pour tenir la fédération du Russie. On peut citer Kadyrov à la tête de la Tchétchénie.
Ce renforcement du pouvoir central s’accompagne d’un verrouillage de l’espace public. On note un retour de la censure, l’encadrement strict des libertés et une vague d’assassinats politiques ou d’emprisonnements. On peut retenir l’affaire d’Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006.
Autour de Poutine s’organise une plateforme électorale « Russie-Unie ». Elle se présente aux élections et réalise environ deux tiers des voix. Elle donne l’illusion d’une démocratie en fonctionnement. C’est une sorte de « démocratie Potemkine », où la séparation des pouvoirs est absente.
B. Un renouveau économique
Sur un plan économique, Poutine profite d’un très bon contexte de croissance internationale et notamment une hausse des cours des matières premières (pétrole ; gaz), au moment où il entreprend la renationalisation des industries pétrolières et gazières. Il élimine en même temps son rival Khodorkovski en le plaçant en prison selon le motif de fraude fiscale.
Les hydrocarbures représentent à peu près les trois-quarts du budget de l’État et des exportations du pays. Poutine profite donc de cette hausse des cours pour mener ses projets, notamment militaires.
Il a entrepris une grande modernisation de l’armée russe, restée vétuste comme le démontra le sous-marin Koursk et son naufrage en 2000.
C. Le retour sur la scène internationale
Au début des années 2000 Poutine se fait discret. Il profite du 11 septembre 2001 pour renouer les fils du dialogue avec les Occidentaux et trouver un thème commun qui est celui de la lutte contre le djihadisme. La Russie est également touchée par les terroristes tchétchènes.
À l’échelle européenne, il s’agit de montrer les limites de l’extension de l’OTAN et de l’Occident dans les territoires proches. Poutine cherche à reconstituer son glacis en Europe orientale. On le constate avec l’Ukraine en se servant de l’arme du gaz en fermant les vannes. Il détournait ainsi l’Ukraine de l’OTAN et de l’UE en mettant la pression sur les dirigeants pro-européens depuis 2003 et la Révolution orange.
On ne peut pas nier que la société russe ait fait corps derrière Poutine. Même si les résultats des élections sont manipulés, Poutine bénéficie d’un vaste soutien. Il a redonné de la fierté et permet aux Russes de croire à nouveau en leur avenir. Un critère intéressant pour constater ce changement réside dans la démographie. Dans les années 1990, la Russie a perdu 5 millions d’habitants. Les taux de mortalité excédaient largement les taux de natalité. Dans les années 2000, la démographie s’est stabilisée. À partir de 2013, la croissance démographique redevient légèrement positive.
On peut considérer qu’à partir de 2008, la puissance russe est reconstituée. Elle dévoile de grandes ambitions. En 2008, elle est intervenue en Géorgie en soutien des provinces rebelles d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Elle a mis au pas le régime de Mikheil Saakachvili qui était issu d’une révolution démocratique et libérale soutenue par les Occidentaux.
III. Les ambitions de la nouvelle puissance russe
A. Une influence toujours plus grande
À ce moment, la Russie a comme première ambition d’achever la consolidation de son glacis en Europe de l’Est. Elle s’appuie sur des territoires qui vont de la Biélorussie jusqu’au Caucase que l’OTAN et l’UE ne pourront pénétrer. La Russie a montré qu’elle pouvait intervenir militairement. Elle place également des missiles de moyenne portée dans l’enclave de Kaliningrad, entre la Pologne et les pays baltes, tout en violant un traité de désarmement.
B. Les alliances russes
Dès lors, ses ambitions se tournent plutôt vers l’Eurasie. Au début des années 2000, elle a créé une union économique eurasiatique. Elle doit regrouper, grâce à une alliance entre la Biélorussie, la Russie et le Kazakhstan, l’ensemble des pays d’Asie centrale. Cette alliance est complétée par l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) par laquelle la Russie se rapproche aussi des Chinois.
Dans cette OCS lancée en 2001, sont entrés au fils des années des pays comme l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde. C’est tout le continent eurasiatique dans sa partie centrale, méridionale, orientale qui se constitue.
Il y a également la constitution du groupe des BRICS (Brésil ; Russie ; Inde ; Chine ; Afrique du Sud), les pays émergents, créés à Iekaterinbourg dans l’Oural en 2009. Ces organisations (Union eurasiatique ; OCS ; BRICS) se sont regroupées en 2015 lors du sommet de Oufa dans le but de constituer un front anti-occidental.
Les projets de Poutine sont révélés lors du discours de Valdaï (2012) dans lequel il condamnait fermement les valeurs occidentales et il mettait en avant des valeurs communes à toute l’Eurasie. Sur cette base de rejet de l’Occident et de l’ordre occidental se constitue sans doute une des grandes lignes de structuration du XXIe siècle.
Poutine a fait une entrée fracassante dans les nouvelles relations internationales. La puissance russe se fait de plus en plus entendre. On le constate depuis le début des années 2010. La guerre en Libye (2011) menée par l’OTAN avec l’accord de la Russie a fini de raidir Poutine contre les Occidentaux dans la mesure où ils ont outrepassé le mandat de l’ONU et renversé Khadafi, allié des Russes. Cela amène Poutine à une position de contestation de l’ordre international. À l’ONU, il met systématiquement son veto dans le cadre des affaires syriennes ou iraniennes. Il est souvent soutenu par la Chine.
La guerre en Syrie est révélatrice de la nouvelle puissance russe. Son intervention militaire pour soutenir le régime de Bachar el-Assad a été une vraie réussite et Poutine a pu faire la démonstration d’une puissance militaire retrouvée.
Sur le plan diplomatique, la Russie a lancée avec l’Iran et la Turquie un processus de paix, le processus d’Astana en 2017. Les occidentaux en sont exclus ce qui en fait une démonstration d’influence diplomatique. À partir de 2014, on assiste au rattachement de la Crimée à la Russie. Les Occidentaux le présentent comme une annexion, et les Russes comme un rattachement plébiscité par les Ukrainiens de Crimée.
On assiste aussi à la guerre hybride menée au Donbass pour déstabiliser le pouvoir ukrainien et arracher l’est de l’Ukraine (République de Donetsk & Lougansk) à la domination de Kiev.
Conclusion
La Russie est une puissance qui s’est effondrée littéralement au cours des années 1990 et qui a été bafouée voire humiliée. C’est un pays qui a failli éclater de l’intérieur. Il a cependant réussi à se redresser à partir des années 2000. C’est d’abord un redressement pendant lequel la Russie s’est écartée des relations internationales avant de prendre confiance et de dévoiler d’immenses ambitions, à la fois à l’échelle eurasiatique et mondiale. C’est ainsi qu’aujourd’hui on doit à nouveau compter dans les relations internationales avec la puissance russe.