Tracer des frontières, approche géopolitique

Tracer des frontières

La frontière est une ligne de démarcation politique et juridique. Mais quel est le processus géo-historique qui a abouti à la formation des frontières ?

 

I. La fixation des frontières politiques

 

À l’origine, la fixation des frontières politiques sous forme de ligne remonte à l’Antiquité. En effet, les premiers empires ont cherché à borner leur souveraineté politique et à protéger leur population contre les barbares (du grec ancien, signifiant littéralement « qui ne parle pas la même langue »). Ils ont donc transformé les zones de confins, aussi appelées les marches des empires, en lignes de démarcation frontalières, juridiques et politiques.

Ainsi, aux alentours du IVe siècle avant J.-C., la muraille de Chine commence à être construite dans le nord de la Chine du premier empire. Quelques siècles plus tard, aux alentours du Ier siècle avant J.-C., l’Empire romain dispose d’un large territoire qu’il a étendu grâce à des conquêtes militaires. Cependant, il a subi d’importantes défaites face aux peuples germaniques sur la frontière du Rhin face au chef Arminus qui écrase les légions de Varus à Teutoburg. Suite à cet événement, l’empereur Auguste décide de fixer et de matérialiser la frontière. Il crée donc le limes sur le Rhin, qui est plus qu’un simple mur : il s’agit d’une zone frontalière marquée, délimitée et protégée. Elle est faite de fortins, utilisés pour les auxiliaires militaires, de forts pour les légions, et elle est gardée à différents endroits stratégiques. Son extension maximale entre le Ier et le IIIe siècle était de 550 kilomètres avec parfois jusqu’à deux à trois kilomètres de profondeur. Il ne s’agit toutefois pas d’une frontière totalement imperméable : elle a, avant tout, une fonction symbolique et non militaire. En effet, pour l’empereur romain, elle marque la différence entre la civilisation et la barbarie. Elle a également une fonction économique : c’est le lieu des échanges commerciaux entre les populations romaines qui s’y fixent et les population dites « barbares », les marchands romains étant accompagnés et protégés par des soldats. Elle a également une fonction d’intégration. En effet, les légions romaines s’appuient de plus en plus sur des auxiliaires venant des peuples dits « barbares » qui assuraient également la surveillance de la frontière.

Ce limes rhénan n’a pas survécu aux grandes migrations qui ont eu lieu en Europe à partir du IVe et du Ve siècles. Cependant, il avait, pour la première fois, un rôle de frontière relativement similaire à la définition qu’on en donne aujourd’hui.

 

II. L’expansion des frontières coloniales

 

Au cours du Moyen Âge et de l’époque moderne, les frontières ont été très mouvantes. Il faut attendre le congrès de Westphalie en 1648 qui met fin à la guerre de Trente ans (1618-1648) pour voir affirmer les principes d’intangibilité des frontières, de souveraineté des États à l’intérieur de leur frontières et de l’intégrité du territoire. Mais les guerres liées aux territoires et aux frontières n’ont pas cessé pour autant. En 1814-1815, alors que l’épopée napoléonienne se termine et que l’empire s’effondre, le congrès de Vienne aboutit à la conclusion du traité de Vienne qui réaffirme les principes de souveraineté des États et cherche à établir un équilibre entre États, alors qu’en Europe le nombre d’États-nations ne cesse de croître au détriment des États monarchiques.

Cependant, à partir de la fin du XIXe siècle, dans la période que l’on appelle « le second âge colonial », les puissances européennes cherchent à s’étendre outre-mer, et en particulier en Afrique. C’est l’époque du scramble for Africa car l’Afrique est le seul continent qui présente encore des terres qui peuvent être colonisées. À cette époque, le concept de frontière politique évolue et s’exporte vers les colonies.

Ainsi, à la fin du XIXe siècle, il y a une rivalité intense entre puissances européennes, et en particulier entre la France, la Belgique et le Portugal pour le contrôle du bassin du Congo. C’est dans ce contexte que Bismarck (alors chancelier allemand) décide de réunir une conférence internationale dans le but d’éviter que les concurrences pour les colonies n’entraînent une guerre européenne. Bismarck est avant tout soucieux de maintenir l’équilibre des puissances en Europe. Se tient alors le congrès de Berlin de 1884 à 1885, réunissant une quinzaine de pays européens. Ces derniers se mettent d’accord, non pas sur le partage de l’Afrique (comme cela a souvent été dit), mais sur des principes de colonisation. Ils établissent que la première puissance arrivée sur un territoire, qui a commencé à le mettre en valeur a un droit d’antériorité qu’elle peut faire valoir pour revendiquer la possession de ce territoire.

C’est ainsi que les Européens, à partir des littoraux africains, ont commencé à pénétrer en Afrique, en suivant le plus souvent le cours des grands fleuves, dans le but de découper des empires coloniaux et donc de tracer des frontières en Afrique.

À l’époque, la Belgique s’est taillée un large territoire en Afrique : le Congo. D’abord propriété du roi des Belges, Léopold II, il l’a transféré à la Belgique au début du XXe siècle.

Suite à la conférence de Berlin, l’ensemble de l’Afrique est colonisé, à l’exception du Libéria et de l’actuelle Éthiopie (anciennement appelée Abyssinie). Les Européens ont découpé en Afrique des frontières-lignes qui ont remplacé les anciennes frontières-zones mouvantes qui existaient entre les différentes structures politiques africaines préexistantes et notamment les anciens royaumes.

Le tracé de ces frontière n’a pas entraîné un apaisement de la situation géopolitique en Afrique. En effet, la France et l’Angleterre ont failli s’affronter militairement en 1898 pour la possession du Soudan (incident de Fachoda). Et, quelques années plus tard, l’Allemagne a souhaité annexer des territoires au Maroc et a provoqué la France en 1905 et 1911. Cette politique de provocation, aussi appelée « politique de la canonnière » a bien failli entraîner une guerre entre les deux pays, qui fût toutefois évitée de justesse.

 

III. Des frontières entre expansion et recul depuis 1945

 

En 1945, seuls une cinquantaine de pays entrent à l’ONU. Le monde est en effet encore découpé en grands empires coloniaux. Aujourd’hui, le nombre d’États présents à l’ONU et reconnus internationalement a quadruplé (environ 200). Entre temps, il y a eu un grand mouvement de décolonisation et d’émancipation qui a entraîné la création de nouveaux États-nations partout dans le monde, et particulièrement en Afrique. Après les indépendances des années 1950-1960, l’Organisation de l’unité africaine a décidé de reprendre les anciennes frontières coloniales (décision qui date de 1964) et de les appliquer aux nouveaux États-nations pour éviter des conflits multiples de souveraineté et de tracé des frontières.

Cependant, les conséquences de cette décision ont parfois été négatives et certains pays se sont affrontés, comme dans le cas du conflit du Sahara occidental. Ce fût également le cas dans le conflit pour le contrôle de la bande d’Aozou entre la Libye et le Tchad.

Cette décision a pu également entraîner des conflits internes aux États. En effet, au moment de la colonisation, les colonisateurs ont fixé des ethnies et des identités, comme au Rwanda et au Burundi avec le cas des Hutu et des Tutsi, ethnies définies par les colonisateurs allemands et belges, et qui se sont affrontées suite à l’indépendance. Cet affrontement déboucha sur le génocide des Tutsi, au Rwanda, en 1990.

 

En Asie, ce processus a également pu déboucher sur des conflits géopolitiques. Ce fût par exemple  le cas en Corée. Colonie japonaise depuis 1905, suite à la défaite du Japon en 1945, les Alliés (notamment les États-Unis et l’URSS lors des conférences de Yalta et de Potsdam) décidèrent de libérer la Corée. La Corée a été libérée au nord (militairement) par des partisans communistes sous le commandement du chef de guerre Kim Il-sung. Alors qu’au sud, la Corée a été libérée par des groupes nationalistes ayant le soutien des américains. L’URSS et les États-Unis ont alors décidé de couper la Corée au 38e parallèle, dans le but, à terme, d’y organiser des élections libres et d’encourager le réunification des deux Corées.

Or, de part et d’autre du 38e parallèle, après 1945 et suite aux élections de 1948, deux régimes antagonistes se sont fixés :

– Au Nord, le régime nord-coréen d’inspiration communiste, soutenu par l’URSS puis par la Chine à partir de 1949. C’est le régime de Kim Il-sung, premier d’une longue dynastie dont est issu Kim Jong-un.

Au Sud, s’instaure un régime dictatorial mais pro-occidental et pro-américain de Syngman Ree auquel succède ensuite le général Park dans les années 1960. Ce régime défend un modèle capitaliste, libéral sur le plan économique et autoritaire sur le plan politique et social.

 

Survient alors la guerre de Corée, illustration des enjeux frontaliers au temps de la Guerre froide. Elle a été déclenchée suite à une agression nord-coréenne, dans le but de réunifier la péninsule. Cette agression a déclenché une intervention militaire américaine dans le cadre de l’ONU et avec l’aide d’une coalition internationale qui contribue, au terme d’une guerre de presque quatre ans et qui a fait entre 2 millions et 2,5 millions de morts, à fixer à nouveau la frontière sur le 38e parallèle avec l’armistice de Panmunjeom (nom de la principale ville frontalière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud).

Depuis 1953, les deux Corées sont techniquement toujours en guerre malgré l’armistice. La frontière qui s’est constituée entre les deux Corées est la frontière la plus solide et la plus contrôlée au monde par les armées de chacun des deux pays. Cette frontière reste un front militaire avec un immense no man’s land, assez profond, sur plus de 250 km de long, et le long duquel les deux armées s’observent en permanence.

Cette frontière a connu très peu d’évolutions, à l’exception de la Sunshine Policy (politique du rayon de soleil) lancée par la Corée du Sud, tentative de rapprochement à la fin des années 1990 et au début des années 2000, qui a permis à des familles de se retrouver. Cependant, en parallèle, la Corée du Nord menait un programme balistique et nucléaire depuis 1996, débouchant sur les premiers tests réussis de têtes nucléaires en 2006, ce qui a contribué à renforcer les tensions.

Jusqu’en 2018, la frontière oppose deux camps irréconciliables, avant, en 2018, la première rencontre entre un dirigeant nord-coréen et un dirigeant sud-coréen à Panmunjeom, ouvrant ainsi l’espoir (alors que parallèlement les États-Unis négociaient avec la Corée du Nord un futur désarmement) du début d’un rapprochement, voire, à terme, d’une paix. Il faut toutefois signaler qu’aucun traité de paix n’a jamais été signé sur cette frontière, qui dans le monde actuel est encore un vestige de la Guerre froide et de la Seconde Guerre mondiale, qui montre que certaines frontières peuvent rester très conflictuelles.

 

Conclusion

 

D’une manière générale, sur un plan historique de très longue durée, les frontières ont évolué de frontières-zones vers des frontières-lignes, qui sont des résultantes de fronts militaires, qui se constituent à travers des traités politiques. Toute frontière, qu’elle soit dite « naturelle » ou non, résulte d’un artifice, c’est-à-dire qu’elle résulte d’un accord passé entre deux États ou plus. Une frontière marque la séparation des souverainetés politiques et juridiques.

Dans le monde actuel, depuis les années 1980, avec la mondialisation, les frontières laissent plus de place aux échanges commerciaux et économiques. Elles deviennent de plus en plus des interfaces mais elles continuent tout de même à remplir leurs fonctions d’obstacles et de lignes de démarcation entre les souverainetés des États.

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