Dépasser les frontières : le droit de la mer

Dépasser les frontières : le droit de la mer

Les étendues maritimes et océaniques couvrent 71 % de la superficie de la Terre. Ces étendues mettent en contact huit dixièmes des États. Sur le plan géopolitique, ces océans et mers ont donc une importance considérable dans les relations entre les États. À partir du XVIIe siècle, il y eut des tentatives pour définir un droit de la mer. Le philosophe et juriste Grotius a théorisé la liberté des mers, et c’est ce principe qui s’est appliqué jusqu’au XXe siècle. Cette vision consistait à considérer que les océans étaient en quelque sorte le patrimoine commun de l’humanité qui ne devait pas être soumis à un quelconque accaparement par des États ou à des restrictions de trafics, d’échanges et d’activités.

Or, au cours du XXe siècle, et particulièrement vers 1945, au vu de l’importance qu’ont pu revêtir les mers et les océans dans le développement économique et humain, mais aussi dans les grands conflits géopolitiques (surtout les guerres), commence un mouvement d’accaparement des mers et océans par les États.

Pour établir un cadre juridique à ces revendications, une conférence internationale se réunit à Montego Bay, en 1982. Les frontières des États ont alors été dépassées pour tracer de nouvelles frontières politiques au sein des mers et des océans.

 

I. Une définition du droit de la mer (Montego Bay, 1982)

 

En 1982, l’ONU réunit une conférence internationale en Jamaïque, à Montego Bay, dans le but de réfléchir à un nouveau droit de la mer. La convention de Montego Bay est entrée en vigueur en 1994. À partir de ce moment, les mers et océans ne sont plus des espaces libres de navigation ou d’accaparement par les États.

De nouveaux espaces de souveraineté ont été découpés au sein des mers et des océans, ce qui a entraîné une territorialisation de ces derniers. La convention de Montego Bay établit l’extension des eaux territoriales des États de 12 à 24 milles nautiques à partir du trait de côte. Au-delà de 24 milles nautiques et jusqu’à 200 milles nautiques, la convention a défini une ZEE (zone économique exclusive). Ces ZEE constituent désormais un pavage des océans et elles représentent environ la moitié de la superficie totale de ces derniers (environ 105 millions de km2). Au-delà de ces 200 milles nautiques, les États peuvent prétendre à un grandissement de leur ZEE jusqu’à 350 milles nautiques, s’ils parviennent à prouver que la zone revendiquée fait partie du plateau continental sur lequel l’État en question est situé.

Lorsque la convention de Montego Bay entre en vigueur, tous les États ne l’ont pas signée, comme la Chine ou les États-Unis qui craignaient de se faire dicter leur souveraineté sur les mers et les océans.

Au-delà des limites des ZEE, la haute-mer et les détroits demeurent entièrement libres.

 

II. Des enjeux économiques, géopolitiques, environnementaux

 

Sur le plan économique, l’État est totalement souverain dans ses eaux territoriales et dans sa ZEE. Il a donc l’exclusivité de l’exploitation des eaux et des ressources halieutiques qui peuvent s’y trouver, mais également des fonds marins où il peut forer et exploiter librement les ressources du sol et du sous-sol (nodules polymétalliques, hydrocarbures). Cependant, les États ne peuvent pas empêcher le passage inoffensif des navires de commerce et même de guerre dans leur ZEE.

Cependant, cette attribution d’étendues maritimes et océaniques leur donne une forme de contrôle géopolitique. En effet, tout navire qui parcourt une ZEE et battant un pavillon étranger doit se signaler auprès des États concernés. Les États souverains contrôlent donc, dans une certaine mesure, les passages dans leur ZEE. De la même manière, les États ont défini des zones d’exclusion aérienne qui peuvent parfois s’étendre jusqu’aux limites de la ZEE, avec un droit de poursuite qui s’applique aussi bien à l’aérien qu’au maritime et au nautique.

Des enjeux environnementaux se posent également. En effet, un certain nombre de voix se sont élevées pour dénoncer une forme de marchandisation des espaces maritimes et océaniques. Depuis 2018, dans le cadre de l’ONU, les États négocient ainsi une nouvelle convention internationale, dans la prolongation de celle de Montego Bay, sur la protection de la biodiversité dans les espaces maritimes et océaniques.

 

III. Des compétitions génératrices de conflits

 

Désormais, dans les relations internationales, les mers et les océans ont pris une dimension cruciale. Ces espaces suscitent donc de plus en plus de compétitions, qui peuvent aller de la simple dispute politique et diplomatique au conflit armé. Au cours du XXe siècle, les mers et les océans ont été de plus en plus les théâtres de guerres. Aujourd’hui, contrôler les mers et les océans, ainsi que les archipels qui s’y trouvent, signifie pour une puissance militaire qu’elle a la capacité de projeter ses forces loin de son littoral.

 

L’Amérique latine

Dans le cône sud de l’Amérique latine à la fin des années 1970, lorsque l’Argentine et le Chili ont commencé à délimiter leurs zones souveraines dans le détroit de Bering, le canal de Beagle (qui sépare les deux nations) a été l’objet d’une dispute territoriale importante qui a failli déboucher sur une guerre après 1978. Cette dispute a nécessité l’intervention du Vatican et de la papauté en 1984 pour régler le contentieux dans cette zone. C’est un exemple assez connu de tensions pour des frontières maritimes qui prolongent des frontières territoriales. En effet, à cette époque, l’Argentine et le Chili n’ont pas encore totalement délimité leurs frontières terrestres dans les Andes.

 

L’Asie de l’Est

L’une des zones les plus frappées par ces conflits est l’Asie de l’Est. Dans Le retour des frontières (2016), Michel Foucher, géopolitologue spécialiste des frontières, considère que la partie asiatique du Pacifique et en particulier les mers de Chine sont les zones où les conflits sont les plus importants et où le droit de la mer est le moins bien appliqué. Par exemple, le Japon et la Chine sont en conflit concernant les îles Senkaku. En 2012, le Japon décide de nationaliser ces îles au détriment de la Chine, qui les revendique comme étant sur le prolongement de son plateau continental. Pourtant, ces îles se trouvent au sein de la ZEE japonaise. Depuis 2012, les tensions sont montées sur fond de néo-nationalisme dans chacun des deux pays et s’ajoutent à de multiples tensions annexes. Par ailleurs, ce conflit est instrumentalisé par Pékin car c’est l’un des seuls domaines de géopolitique où Pékin et Taïwan sont d’accord pour faire face au Japon.

En mer de Chine méridionale, il y a une multitude de conflits entre un total de six pays pour le contrôle des Paracels, des Spratley et l’îlot de Scarborough. Pékin revendique la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale suivant une ligne tracée en dix traits. En 1974, ces revendications débouchent sur la guerre des Paracels avec le Vietnam, remportée par la Chine.

Aujourd’hui, ce sont les Spratley et le Scarborough qui opposent la Chine, le Vietnam, les Philippines, le sultanat de Brunei, la Malaisie et l’Indonésie. L’ONU, saisi par les Philippines, a rendu un jugement favorable aux Philippines et défavorable à la Chine. Cependant, de manière unilatérale, Pékin a décidé de passer outre ce jugement et parallèlement de multiplier la construction d’îlots artificiels (appelés « la grande muraille de sable) pour lui permettre d’installer des bases industrielles et militaires. Pékin compte contrôler la région, vitale pour son économie et pour sa capacité de projection de force dans le Pacifique.

 

L’océan Arctique

Depuis une dizaine d’années, l’océan Arctique est également devenu l’objet de convoitises. Contrairement au continent Antarctique et à l’océan Austral, qui font l’objet d’un traité international depuis les années 1960, protégeant ces territoires de l’exploitation humaine et de tout accaparement, l’Arctique n’a jamais fait l’objet de réglementation internationale. En 2007, les Russes ont planté leur drapeau national par 4000 mètres de fond sur la dorsale de Lomonossov en affirmant que ce territoire faisait partie intégrante de la ZEE russe, et donc du territoire russe.

Le sous-sol arctique est riche en hydrocarbures et en métaux rares. Par ailleurs, avec la fonte de la banquise provoquée par le réchauffement climatique, de nouvelles routes commerciales pourraient s’ouvrir d’ici quelques années : la route du nord-est par la Russie et la route du nord-ouest par le Canada. Ces routes font l’objet de convoitises extrêmement importantes. Il s’agit donc d’un nouvel espace sujet à accaparement.

 

Conclusion

 

Au cours du XXIe siècle, ces zones océaniques et maritimes pourraient être des lieux de tensions de plus en plus importantes. Cependant, les tensions entre les États ne débouchent pas nécessairement sur des guerres. En Méditerranée, par exemple, les pays riverains ont renoncé à délimiter des ZEE car la situation était trop complexe. À part dans le cas de la Grèce et de la Turquie, qui sont en conflit concernant leurs eaux territoriales respectives, la Méditerranée est pacifiée.

Il ne faut donc pas faire de déterminisme : la guerre ou la paix ne sont déterminées que par les États. Il y a toutefois une tendance au nationalisme et au souverainisme qui entraîne l’établissement et l’entretien de rapports de forces entre les États riverains. D’ailleurs, l’étymologie de riverain et rival est la même. La racine du mot désignait anciennement ceux qui puisaient leur eau à la même source. Les mers et les océans sont donc un enjeu géopolitique majeur aujourd’hui.

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